11 février 2012

L’eau était juste à la bonne température. Anne avait jeté dans la casserole les gnocci puis les avait sorties avec un écumoir attendant patiemment qu’elles remontent à la surface. Le parmesan, quelques feuilles de basilic et un filet d’olive, l’assiette était là devant elle, comme la dernière fois. Cette journée,  il y a des mois, où au contact de son palais, les saveurs mélangées avaient eu cet effet magique de lui redonner vie. Des mois qu’elle trainait ce mal être, cette envie d’en finir, de tout bazarder- salut l’artiste. A quoi bon? Les gens étaient devenus fous; ces inconnus qui s’entretuaient, qui pour de l’argent étaient capable de massacrer les forêts ou les animaux pour survivre ou entretenir leur yacht, non vraiment elle ne voyait pas pourquoi continuer-cela ne l’intéressait plus. Comment d’ailleurs avait-elle pu y croire? Comme elle avait été idiote d’imaginer que parce que son père avait un jour couché avec sa mère, elle était obligé de bouffer cette merde? Il fallait les voir, avec leurs petites misères, ces deux étrangers à sa vie que d’aucuns prétendaient qu’elle les avait choisis. Et bien, elle s’était planté voilà tout et avec cette espérance de vie qui s’allongeait, vraiment, elle n’allait pas continuer à devoir supporter indéfiniment son erreur. D’autant qu’ils ne la lâcheraient pas, jamais. Elle mâchait en pensant à cela oubliant jusqu’aux sensations dans sa bouche, à la texture pâteuse de la pomme de terre associé à celle craquante du parmesan. Non, décidément cela n’avait pas du tout le même goût. La table en plus était maintenant sale, et devenue bancale. D’où elle était assise, elle voyait la poussière sur le meuble en face d’elle. Recouvert de CD, sortis de leur boites, en attente d’être rangés depuis des mois. Elle se souvenait comment elle avait fait des jolies piles en septembre, ce plaisir qu’elle avait eu à refermer sans effort la porte où ils étaient alignés. Chaque chose à sa place, la terre qui tourne comme il faut et sa vie suivant le mouvement. Une feuille de basilic croquait sous sa dent. Anne se rappela les pots en terre qu’elle avait achetés en été pour les mettre sur son balcon, ce plaisir d’imaginer cueillir ses fines herbes, comme à la campagne. Où étaient ils maintenant? Stockés dans la courette intérieure, abandonnés, vestige d’une espérance de petit bonheur envolé. Mais comment était-ce possible? Il y avait bien un moyen, quelque part, un livre, un disque, un peu de vin qui lui redonnerait cet avant dans lequel les pâtes avaient si bon goût et où tout le reste suivait. Elle se leva, alla dans la cuisine. Ses pieds lui semblaient si lourds; elle avait grossi, son pantalon avait perdu un bouton. Elle en était presque soulagée, heureuse. Voilà qui faisait une bonne raison de plus de tirer sa révérence. C’est vrai, c’était un signe, non? Un de plus à ajouter à la longue liste qui témoignait que tout était en place pour qu’elle parte sans regret. Le plat de pâtes, le pot, le bouton, la table, sa voiture qu’on lui avait abimé, cet appel de sa banquière- le puzzle était complet. Dans la chaine hifi dont la télécommande avait également cessé de marcher, Madame Butterfly disait adieu à la vie. Sa voix, confiante et assurée la menait vers son destin. Une autre femme élèverait son enfant. Elle s’effaçait, se sacrifiant, presque soulagée. Que c’était beau. La musique de Puccini était là, emplissant la pièce, entrant dans ses pores, dansant dans sa tête. Les notes paraissaient chargés d’espoir puis hésitantes. Une clarinette semblait sortir de l’ombre bientôt rejointe par les cuivres et les percussions. La musique se fit légère, enjouée, la vie était là. Elle avait gagné, triomphante. Une femme était morte mais la musique continuait. Tout comme chaque matin, les poubelles continueraient d’être ramassées. Anna jetta dans la sienne le reste des pâtes. Puis elle commença à ranger ses CD. Pour le bouton à recoudre, ça attendrait.

 

Par Laetitia Monsacré

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