12 décembre 2015

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Le résultat avait beau être prévisible, les hauts cris, un peu moins théâtraux tout de même qu’un certain 21 avril 2002, n’ont pas manqué au rendez-vous. Imaginez : au soir du premier tour des régionales inaugurant les nouvelles fusions territoriales, le Front National s’est affirmé, à quelques dixièmes devant la droite « républicaine », comme le premier parti de France, avec près de 30 % des suffrages – sur fond d’abstentionnisme marqué, où un électeur sur deux ne s’est pas déplacé pour un scrutin dont il ne mesure guère les enjeux. Comme en 2002, la gauche, battue, s’est empressée à appeler à faire barrage au fascisme de Le Pen et consorts. Dans les trois régions où elle est arrivée en troisième position, face à un bleu marine en passe de l’emporter, le PS a décidé de retirer ses candidats : la vertu du sacrifice démocratique d’abord, auquel la droite ne s’est jamais risquée, préférant des accords avec les franges extrêmes pour gagner plutôt que renoncer au combat, à l’instar d’un Charles Millon en Rhône-Alpes lors des échéances de 1998. Nicolas Sarkozy et les Républicains ont d’ailleurs enfoncé le clou en maintenant sa liste midi-pyrénéenne, où la division des partis de gouvernement pourrait faire le jeu du FN. Au moins l’ancien président a-t-il le mérite de la cohérence, lui qui a plus d’une fois pillé dans la besace à idées de Marine Le Pen, grimaçant face à un David Pujadas qui le lui rappela lundi soir au 20 heures de France 2,  Manuel Valls lui ayant confisqué celui de TF1.

Calcul moral

En somme, la gauche se pose en gardienne de notre démocratie que le gloubi-boulga du clan Le Pen menacerait s’il prenait les manettes d’une région – formation politique que le « cordon » plus sanitaire  que démocratique du système électoral tient à l’écart de la représentation nationale, en dépit de ses six millions de suffrages. D’ailleurs, Libération consacre ce jeudi huit pleines pages à son programme et les stigmates qu’il laisse dans les villes gérées par ses lieutenants : il y en a qui, comme à Beaucaire, se félicitent qu’ «enfin ça marche droit », quand d’autres souffrent à Hayange d’une véritable régime de terreur. Les acteurs culturels du Nord-Picardie s’alarment des conséquences dramatiques d’une victoire de Marine Le Pen, forcément ennemie de la culture, synonyme presque redondant d’ouverture face à l’étroitesse d’esprit du populisme. Les précédents d’un Jacques Bompard à Orange abondent, il est vrai, en ce sens. Ce serait pourtant tenir en bien piètre estime notre démocratie que de réduire à néant le rôle de l’opposition, et le calcul moral de la gauche, la privant d’élus là où elle a renoncé au second tour, ne l’est peut-être pas autant qu’il n’y paraît.
Mais rassurez-vous, l’élan civique suscité par la gravité de la situation va endiguer la marée brune, et Les Echos donnent les trois leaders frontistes perdant face à leur adversaire, même d’une courte tête pour Florian Philippot – avatar qui démontre que même les gays votent facho –, quand Le Figaro s’interroge doctement sur l’impact du retour des abstentionnistes dans l’isoloir – la queue aux commissariats, gendarmeries et tribunaux d’instance pour les procurations annonce un raz-de-marée pour parer au tsunami néo-nazi, à condition bien sûr que la personne à qui l’on a confié son bulletin  ne soit pas accoquinée avec ces « bataillons infâmes » – quand certaines belles âmes qui ont voulu donner un signal à nos dirigeants, vont se ranger à la raison dimanche prochain. Ouf, la France restera d’un bleu-rose pâle de bon teint : la « liberté » sera sauve.

La victoire de l’arbitraire et de la démagogie

Et peu importe en fin de compte si les réflexes lepénistes ont largement infiltré l’impuissance de nos politiques, de gauche compris à l’image de Manuel Valls qui n’en a sans doute plus que le nom, cette dernière décennie, avec pour dernier point d’orgue un état d’urgence qui fait abdiquer l’état de droit devant l’état policier, à  l’efficacité surtout démagogique pour des masses en mal de sécurité. Cela évitera de trop se pencher sur les ratés des services de renseignement ou les manques de moyens, financiers et humains, de la justice. La comédie devient d’ailleurs franchement croquignolesque, quand les opinions plus que basanées de Christian Estrosi se posent en rempart contre une Marion Maréchal-Le Pen avec laquelle il partage presque tout, excepté l’étiquette. Et si l’Ile-de-France, avec sa population plus éduquée, échappe au vent des faisceaux – même si, grâce à la grande couronne, Wallerand de Saint-Just atteint un coquet 18 % – Valérie Pécresse a prévu de remettre au goût du jour les carnets de circulation, pour interdire les transports en commun aux délinquants multirécidivistes. Pensez-donc, l’un des cerveaux des massacres du 13 novembre a été vu il y a quelques mois en train de frauder dans le métro ! En fait, la France n’a plus besoin du Front National pour « marcher droit », et confondre dans le même sac du trouble à l’ordre public militants écologiques et salafistes terroristes qui ont profité du soutien de l’Arabie Saoudite à qui la France vient de vendre force armes et Rafales. Dans ce retour au pouvoir discrétionnaire de l’Ancien Régime où la présomption d’innocence ne vaut plus grand chose et la délation encouragée par l’Etat comme aux grandes heures de Vichy, Le Pen peut – enfin –  prendre sa retraite.

Par Gilles Charlassier

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