Si la dernière production scénique de la saison du Théâtre des Champs Elysées, L’Olimpiade de Vivaldi, a été conçue en lien avec la prochaine actualité sportive de l’été – qui va fortement perturber le quotidien des Parisiens et des Franciliens –, c’est pour une tout autre, et bien plus triste, nouvelle que Michel Franck, le directeur du théâtre, prend la parole avant le lever de rideau. La soprano belge Jodie Devos, l’une des plus belles personnalités vocales de la nouvelle génération, vient de s’éteindre le 16 juin dernier à seulement 35 ans, emportée par un cancer foudroyant. Elle devait chanter dans ce nouveau spectacle qui est dédiée à sa mémoire. Un hommage lui a été rendu, silencieusement, par le public debout, avant le lever de rideau sur la mise en scène d’Emmanuel Daumas.
Les intrigues des opéras baroques ont la réputation d’être un peu alambiqués – en général une rivalité amoureuse avec un arrière-fond politico-militaire plus ou moins vague dans une époque antique. Ce n’est pas la présente lecture de L’Olimpiade certes très festive, qui viendra démêler l’écheveau, sur fond de scénographie passablement kitsch, dessinée par Alban Ho Van et habillée par les costumes de Marie La Rocca, avec pastiche d’architecture grecque, masques, combinaisons d’athlètes, pectoraux de silicone et numéros de breakers, dans une superposition entre l’ancien et le contemporain fort coloré, à défaut d’une cohérence dramaturgique immédiatement saisissable. Du moins comprendra-t-on le dénouement où le roi Clistene retrouve en Licida le fils qu’il avait abandonné – sorte de tragédie d’Oedipe qui se finirait bien, avant le parricide et l’inceste.
Du kitsch et des voix
Mais au fond, ce n’est pas pour les lettres que les spectateurs se sont déplacés, mais bien pour les voix, enfin surtout celle de Jakub Orlinski, dont la carrière a été propulsée par un habile marketing. Son Licida, avec quelques pirouettes de break, plutôt anecdotiques au regard des professionnels engagés sur la production avec une chorégraphie de Raphaëlle Delaunay, aux dires des connaisseurs, peut laisser l’authentique amateur de lyrique sur sa faim, tant la couleur vocale semble aussi filiforme que le physique – même si les applaudissements n’en tiennent aucune rigueur. C’est plutôt Marina Viotti qui retient l’attention de l’oreille, avec un Mégacle virtuose, généreux et à l’expression nourrie – on ne dira jamais assez combien les mezzos peuvent ressusciter la puissance des castrats. Si la méforme de Delphine Galou en Argene attriste, voire inquiète, Ana Maria Labin démontre une intelligente musicalité dans le rôle d’Aminta que devait faire rayonner Jodie Devos. Caterina Piva s’acquitte des répliques d’Aristea, quand les deux tessitures graves, Clistene et Alcandro, le souverain et son confident, sont assumées efficacement par Luigi De Donato et Christian Senn. Quant à la direction très énergique de Jean-Christophe Spinosi, elle surprend agréablement par un retour à une relative sobriété qu’on ne lui connaissait plus – mis à part quelques effets chromatiques appuyés. Une première scénique français de L’Olympiade qui a trouvé son public, à défaut de rester dans les mémoires.
Par Gilles Charlassier
L’Olympiade, Théâtre des Champs Elysées, juin 2024