8 février 2020
Bruno Moinard, éloge de l’épure

Ses bureaux sont avenue Montaigne mais c’est dans le sixième arrondissement que Bruno Moinard a choisi d’installer sa galerie. Des toiles grand format peintes par lui, evoquant Soulage et Bram Van Velde, y côtoient des meubles aux lignes épurées et aux matériaux nobles. Rien de bling bling, on est ici dans le luxe minimaliste et dans une forme d’évidence. Pas question pour autant de verser dans l’ austérité; cet architecte d’intérieur qui réalise des boutiques- Cartier dans le monde entier, des musées comme l’agencement des collections des Arts Déco rue de Rivoli, le chais du Château Latour, ou encore des villas pour ceux que nommait Edith Wharton les « heureux du monde », semble avoir tout compris: le vrai luxe est celui qui dure et dont on ne se lasse pas, tel un fauteuil du Corbusier. Il est vrai que, major de sa promotion en sortant à 20 ans de l’Ecole des Arts appliqués Olivier de Serres, ce fils de tapissiers dieppois, passionné dans son enfance par le dessin, a été à bonne école: quinze ans passés auprès d’Andrée Putman, la papesse du design, avec notamment l’aménagement intérieur du Concorde, « une des plus belles heures de ma vie ». Nous l’avons d’ailleurs rencontré entre deux avions dans sa boutique galerie rue Jacob, le carnet de note posé sur une table aux lignes forcement parfaites.

Vous parlez dans le livre que les Editions de la Martinière vous ont consacré d’« être sur la pointe des pieds » lorsque vous abordez un lieu?

J’écoute d’abord beaucoup mon client. Je ne fais jamais la même chose même s’il y a un petit fil conducteur. Je teste, je fais des dessins en direct, il doit y avoir une alchimie d’autant que cela peut être long; il y a des maisons qui me prennent sept ans. Certains clients me demande des dizaines de versions pour leur salle de bain sans compter qu’il faut que monsieur et madame soient d’accord. La réussite de mes projets, c’est qu’ils y soient heureux en se disant que c’est eux qui ont eu la bonne idée.

La peinture est-elle l’occasion pour vous de ne plus être « au service de »?

Oui, c’est évident. Rendez-vous compte: lorsque j’ai commencé à faire les boutiques de Cartier, nous étions trois autour de la table. Maintenant, c’est soixante dix personnes. Heureusement, j’ai une équipe de quarante cinq collaborateurs sur laquelle je peux compter car, physiquement, je n’y arriverais plus. C’est un métier avec des hauts et des bas; on vend du rêve mais ça a aussi une dimension cauchemardesque avec un budget, un planning à tenir, des entreprises qui n’arrivent pas à réaliser les commandes.

Vous parlez beaucoup de lumière dans votre travail…

Lors des quatre années que j’ai passées à Olivier de Serres, j’ai eu la chance d’avoir des professeurs « poètes », amis de danseurs et d’artistes; ils donnaient de l’émotion à une perspective sous forme de taches de lumières dans leurs dessins. Ça m’a beaucoup aidé et guidé.

Vous êtes nostalgique de cette époque où le business était moins prégnant?

Pas vraiment, j’essaye de m’adapter aux nouvelles situations même si j’ai vécu des choses incroyables avec Andrée Putman qui côtoyait notamment Azzédine Alaïa, Yves Saint Laurent ou Karl Lagerfeld. C’est là que j’ai appris beaucoup; me tenir, faire des choses très différentes.

Dans vos nombreux voyages n’êtes-vous pas non plus choqué par la standardisation de toutes les villes?

Bien sûr. En 2003, pour les boutiques Cartier, j’ai eu l’idée de faire comme un hôtel particulier avec des meubles occupant l’espace jusqu’à ce qu’un de leur PDG me demande de faire dans toutes les villes la même chose. Depuis, ils sont revenus en arrière, avec une identité propre à chaque pays. Aujourd’hui, j’ai la chance de travailler avec des gens comme François Pinault avec lequel la décision est immédiate, c’est très agréable!

Et Bruno Moinard de confirmer, en parlant de ces clients fortunés qui, de Martin Bouygues à Bernard Arnault, lui font confiance, que son métier est avant tout une « rencontre » entre un désir et celui qui sait lui donner corps. Ainsi, Raymond Depardon résume-t-il : « Je fais un rêve: donner la clé de ma maison à Bruno Moinard pour que, d’un coup de baguette magique, il la transforme. Il prendrait mon passé, mes projets; aidé d’un pinceau de lumière, il redéfinirait le cadre, la couleur, les formes (…)« . On ne saurait mieux dire.

Par Laetitia Monsacré

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