26 avril 2023
Nicolas Horvath, Echec et mat

C’était une nuit blanche. Pas de celles où l’on n’arrive pas à fermer l’oeil mais une nuit blanche officielle où les Parisiens étaient invités jusqu’à l’aube dans les musées et autres lieux culturels pour s’en mettre plein les yeux ou les oreilles. Cette nuit du 6 octobre 2012, au Cloître des Bernardins, on avait eu l’idée lumineuse de mettre de larges coussins blancs par terre pour accueillir un public de tous âges, autour d’un piano demi-queue noir où un jeune homme jouait Philip Glass, laissant choir à terre les partitions au fur et à mesure des heures. Un pur moment méditatif et une invitation au « lâchez-prise », de celles qui marquent à jamais. Ce jeune homme, c’était Nicolas Horvath, adoubé depuis par le compositeur de Métamorphosis et autres Glasswords pour participer à son Philip Glass & Friends à la Philharmonie de Paris, en 2019, après que le public New-yorkais l’ait découvert au Carnegie Hall dès la première mondiale du cycle complet des vingt Études pour piano de Glass. Un énième marathon musical comme la version solo non-stop pendant trente cinq heures des Vexations d’Erik Satie au Palais de Tokyo en 2012. « Mon père n’aimait pas le jeu de dame où l’on ne se sert que d’un pion, il préférait les échecs où l’on avance avec plusieurs pions en même temps pour atteindre son but ». D’où l’éclectisme de son répertoire, de Debussy à Satie, en passant par des compositeurs contemporains comme l’Estonien Jaan Rääts ou des compositrices méconnues du XVIII ème siècle, Anne-Louise Brillon de Jouy. Touche à tout, il se produit actuellement au Grand Rex avec des musiques de Vladimir Cosma ou en mai prochain, celles de Dany  Elfman, compositeur de l’ensemble des musiques des films de Tim Burton. Loin du brun ténébreux des photos de ses albums édités chez Naxos Grand Piano, c’est avec une décontraction enfantine et désarmante que nous l’avons rencontré entre un train et deux avions.

Votre train part dans une heure pour Sens où vous avez installé votre studio, c’est la seconde fois qu’un pianiste me dit ne pas pouvoir vivre à Paris à cause des plaintes de ses voisins, c’est donc une fatalité?

Non, je ne crois pas. J’ai d’ailleurs gardé pendant vingt ans une studette dans le 17ème avec un piano droit que je mettais en « silent », avec la télévision allumée sur des séries B car elle semblait ne pas les déranger! Aujourd’hui, en ayant quitté Paris, je suis tranquille; j’ai trois pianos, celui de mon enfance, un trois quart de queue Boston, que j’ai fait venir de Monaco d’où je suis originaire, un Gaveau droit payé à crédit auquel je suis de fait très attaché et mon Steinway de concert datant de 1924 qui me sert pour le studio d’enregistrement. La famille d’Orléans m’a également offert un pianoforte Zumpe de 1786 pour le répertoire baroque et bientôt, je vais y ajouter un Pleyel carré de 1838.

J’ai lu que vous aviez été tenté d’entrer dans les ordres?

Parfaitement, lorsque j’étais adolescent, j’ai eu un appel de la foi avec un père défaillant et ma mère qui travaillait comme une dingue pour que nous puissions survivre, même si j’étais fils unique-heureusement; c’est d’ailleurs elle qui m’a fait découvrir la musique classique grâce à la série des cassettes Les grands compositeurs comme Beethoven et sa 5 ème par Karayan ou Chopin et Schubert. A cette époque, le piano était juste un passe-temps comme mes cousins, eux, jouaient au foot. Pour mon père, j’allais finir comme lui, ouvrier. J’en ai gardé un grand respect pour ceux pour lesquels acheter une place de concert est un réel effort financier et qui, s’ils arrivent en retard, comme ça m’est arrivé dans le passé, ne soient pas condamnés à rater une partie du concert. C’est pourquoi, je me suis battu avec la Philharmonie lors de mon intégrale des Etudes de Philip Glass, pour qu’on laisse les portes ouvertes.

Vous avez joué et enregistré aussi les oeuvres d’ Eric Satie, qu’est-ce que vous aimez chez lui?

Enfant, je détestais Satie, tout comme Mozart ou Debussy car tout le monde les jouait et, comme j’étais un peu rebelle, je ne voulais pas faire comme les autres. C’est idiot! Mais, je vous avais dit que j’allais vous décevoir! Puis, un de mes élèves est arrivé en ayant choisi d’apprendre la première Gnossienne. Et comme je ne voulais pas qu’il la joue comme moi, j’ai pris la partition en cherchant vraiment à ce que mon élève s’éclate avec lui-même;  j’ai alors trouvé ça génial, ce balancement comme une cloche avec la main gauche.

Vous aviez quel âge?

Vingt-six ans, j’ai alors vu qu’il y avait tout un monde autour de cette musique et que c’était super intéressant; les pièces se sont ensuite rajoutées les unes aux autres. C’est d’ailleurs la même chose qui s’est passée avec Philip Glass, là encore, c’était la demande d’un élève. Je connaissais et aimais beaucoup la musique de Yann Tiersen. Au début, je me suis même dit que Glass avait copié sur lui, puis, j’ai compris que c’était le contraire. Après, lorsque j’ai commencé à gagner des concours internationaux, j’ai été vraiment « classique classique », fan de Liszt, Chopin, Scriabine, Beethoven. Et puis, en faisant de l’électro-acoustique, j’ai découvert plein de jeunes compositeurs que personne ne jouait.

Comment avez-vous rencontré Philip Glass?

A l’occasion du concert Philip Glass and friends à la Philharmonie. J’avais déjà joué son intégrale. Il a voulu me rencontrer puis son équipe m’a demandé de choisir deux Etudes pour les jouer ce soir-là. Comme je les connaissais toutes, je les ai laissés choisir et je me suis retrouvé à jouer les deux plus difficiles et celles que j’aimais le moins! Mais, mon jeu a beaucoup plu à Philip Glass qui m’a proposé d’écrire une oeuvre spécialement pour moi, sauf que le Covid est passé par là et les producteurs de la première mondiale se sont envolés.

Au vu de votre répertoire, on vous imagine jouer un jour Rachmaninov…

J’adorerais! Je serais aussi vraiment heureux de sortir un disque sur Scriabine, mais ce n’est pas jugé assez vendeur par les maisons de disques actuellement.

Jouez-vous au piano chaque jour?

Ça dépend, de l’approche des concerts, du temps que j’ai avec mon petit garçon de deux ans, des enregistrements. Aujourd’hui, par exemple, je n’ai pas pu jouer, mais le piano m’a accompagné autrement. On m’a apprit des techniques pour jouer sans piano; il y a aussi tout le travail mental, visualiser la partition même si je m’en passe de plus en plus souvent en concert, intégrer le jeu dans les muscles. C’est tout un travail qui se fait en soi.

Vous avez, contrairement à d’autres solistes, commencé tardivement à vous produire sur scène…

Pendant longtemps, un de mes professeurs m’a dit que je ne monterai jamais sur scène. Au début, ça a été très dur; on me disait que j’étais un « déchet », je suis passé par la dépression pour finir par me dire que j’étais un très bon prof et que, comme la composition électro-acoustique marchait bien, j’allais me limiter à cela. Et puis, je me suis inscrit au concours Scriabine, deux semaines avant; j’ai acheté à manger et pendant quinze jours, je me suis enfermé pour travailler au piano, jouant chaque jour jusqu’à m’effondrer de fatigue dans mon lit. Il fallait connaître par coeur tout un programme de récital avec des oeuvres de Liszt, Rachmaninov, Chopin, Beethoven que j’entendais jouer par les autres candidats, des brutes épaisses que l’ on entendait trois étages plus bas, en me disant que moi, j’avais fait le job, et pour cela, j’étais content. Et puis, je me souviens, j’étais dans le public, en attendant de voir lequel avait gagné quand un membre du jury, avec un fort accent russe, est venu me voir, en me disant: « Mais, ils ne vous ont pas prévenu? Vous jouez ce soir! ». Alors, je me suis dit, mais si je joue ce soir, c’est que j’ai un prix! Et il a ajouté: « Bien sûr que vous jouez, vous avez le premier prix! ». J’avais trente ans.

J’ai ensuite enchaîné quatorze concours, obtenu sept premiers prix, en ai raté deux lamentablement mais c’est avec ceux-là que j’ai le plus appris. Imaginez qu’au Japon, j’étais face à deux mille candidats, en ayant payé difficilement mon avion, dormi dans un hôtel miteux car j’avais calculé à l’époque que passer chaque concours me coûtait deux mille euros! C’était cher pour un fils d’ouvrier qui n’avait pour se financer que les cours particuliers qu’il donnait. En plus, j’entendais dans ma tête, la voix de ma mère: « Nicolas, tu gaspilles ton argent » et derrière la porte, des candidats qui jouaient comme des dieux. Du coup, dès que j’avais joué, je me barrais tout de suite; sinon, vous avez envie de passer par la fenêtre. Ou de vous balancer dans l’eau.

Dieu des pianistes merci, Nicolas Horvath n’est jamais passé à l’acte. Il ne passe plus de concours mais continue de donner des cours lorsqu’il n’est pas à Milan en récital comme le 1er mai prochain ou à Singapour, en mars dernier. Le reste du temps, il pratique l’humilité, alternant l’enthousiasme et la sollicitude comme l’on jouerait une blanche puis une noire. Sur un clavier après le damier, pour au final, l’emporter. Echec et mat. 

 

 

Par Laetitia Monsacré

 

Informations, agenda sur le site https://www.nicolashorvath.com/

Extrait de la Nuit blanche aux Collège des Bernardins

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