4 mai 2017
« Bas du Front » comme titre Libération

15,1 millions de téléspectateurs. La joute élyséenne version 2017 n’a pas fait recette. Le débat d’entre-deux tours – enfin si on peut appeler ça un débat – a donc été moins suivi que tous les autres duels précédents. A vrai dire rien d’étonnant à cela tant cette confrontation a viré à la foire d’empoigne, au concours d’invectives, au dialogue brouillon et déraisonné! Les Français attendaient de la solennité, des propositions pour éclairer leur choix, ils ont eu droit à un pugilat désarçonnant, décevant et bien triste. Pas étonnant donc qu’ils s’en soient détournés, préférant abandonner ce spectacle désolant qui n’était pas à la hauteur de notre démocratie.

Une agression permanente

Il n’aura pas fallu plus d’une minute à Marine Le Pen pour s’affranchir des règles du débat et sauter au visage de son adversaire. 21h02, Emmanuel Macron a déjà la moitié de la gorge arrachée. Jugulaire déchiquetée, pissant de le sang, presque KO debout par cette entrée en matière, le candidat favori se fait cueillir à froid par une Marine Le Pen qui n’a pas attendu une seule seconde pour mordre ! Elle choisit d’emblée le ton de l’agression et cherche par tous les moyens à déstabiliser son opposant n’hésitant pas, au-delà de ses répliques habituelles sur le « banquier Macron » et « le bébé Hollande », à mettre en cause sa personnalité et son honnêteté. Dès les premières minutes donc, elle se pose comme la garante du peuple face à l’homme d’argent, elle dresse un diagnostic apocalyptique de son passage à Bercy tout en martelant qu’il n’envisage la France que comme une vaste salle de marché où tout serait à vendre. Elle a envie de le tuer, elle le méprise et son rire sardonique – petit rictus ou franche rigolade qu’elle a arboré toute la soirée – est là pour prouver qu’en réalité elle ne le prend pas au sérieux. La sulfateuse lepéniste ne faisant pas dans la dentelle, elle tire dans tous les sens avec une idée constante : Emmanuel Macron est un « candidat à plat ventre », un candidat soumis. Soumis à l’Europe, soumis à l’islam radical, soumis aux banques, à l’argent, à ses amis puissants, au communautarisme, bref pour elle Emmanuel Macron est un petit homme falot, pâlichon, une marionnette guidée par François Hollande, une marionnette qu’Angela Merkel sera ravie d’utiliser au seul profit de l’Allemagne !

L’indiscipline de Marine Le Pen

Allez à peine dix minutes de débat et on n’y comprend déjà plus rien. Enfin, on comprend surtout ce à quoi on va avoir droit : pas un débat d’idées mais un concours de beignes et une bonne castagne ! Marine Le Pen semble en être ravie. Elle n’est pas venue pour expliciter son programme. Elle est venue pour démasquer son adversaire et pour ce faire elle se conduit en gamine rebelle s’affranchissant de tous les codes et de toutes les règles. Elle fait craquer jusqu’au bout les limites du système et choisit, comme Donald Trump l’avait fait durant les débats présidentiels américains, de ne suivre aucun règlement, aucune conduite fixée à l’avance par une autre autorité qu’elle-même. Elle choisit donc consciemment de faire basculer ce qui devait être un rendez-vous sérieux en match de boxe. Au diable la solennité, au diable la hauteur, au diable le respect des règles, Marine Le Pen en digne fille de son père a décidé de faire du Jean-Marie ! Elle reprend même ce qui a fait la marque de fabrique de la dynastie frontiste : les sous-entendus détestables en envoyant à Emmanuel Macron une pique sur l’élève et le professeur, allusion sans classe et sans finesse à Brigitte Macron. Les soutiens frontistes ont sans doute été ravis et enivrés par la maestria verbale de leur candidate. Mais n’a-t-elle pas commis une erreur en agissant de la sorte ? Au lieu d’apparaître calme et posée, en un mot présidentielle, elle est apparue, telle une hâbleuse enragée, insultante et clivante.

Elle a suivi le conseil de papa Jean-Marie, elle a fait du Trump et a été agressive. Elle était loin de la France apaisée !

Un Macron tendu et teigneux

Bien qu’il ait été attaqué en permanence et harcelé par la vindicte de son adversaire, Emmanuel Macron s’en est plutôt bien sorti – les enquêtes d’opinion post-débat le confirment –. Il a su rester calme,  même si il a lui aussi haussé le ton, « Arrêtez de dire de grosses bêtises », « Vous dites n’importe quoi! », il n’a pas commis l’erreur de tomber dans l’insulte. Certes, il a parfois été arrogant et presque méprisant face à Marine Le Pen, mais il a tenté avec plus ou moins de succès de débusquer les mensonges de son adversaire, ses postures et ses antiennes. Que l’on soit d’accord ou non avec lui, qu’on le soutienne ou non, force est de lui reconnaître une claire maitrise des sujets économiques et une pédagogie bien huilée. Mais il a aussi été pris en défaut sur le terrorisme et sur les questions d’identité. S’excitant parfois, dodelinant de la tête et des épaules avec un petit côté Sarkozy en moins énervé, Emmanuel Macron, dans sa position de favori, a su faire passer son message de renouveau, se présentant comme le candidat qui porte l’esprit de conquête. Parfois hautain, franchement agacé par les attaques de Marine Le Pen, il s’est départi de cette joute avec une certain dextérité. Mais il n’a pas su éviter l’écueil d’apparaître comme un expert, comme un apparatchik, comme un homme dont le renouveau est construit avec toutes les anciennes vedettes de la Vème République. Il a lui aussi choisi un ton agressif, s’emportant parfois et rejetant avec morgue et la corde bien usée de la morale les arguments de son adversaire. Il a lui aussi fait du spectacle et n’a pas su ou pas pu démontrer clairement son désir de rassemblement. Il a renvoyé toute une partie de l’électorat français au rayon des grincheux et des apeurés. Il a stigmatisé toute une partie de l’électorat français, le figeant en quelque sorte dans la case des femmes et des hommes effrayés par la modernité, le progrès et l’aventure du monde. Il a choisi bien trop souvent de caricaturer son adversaire sans jamais chercher à la contredire sur un autre plan que celui des valeurs morales et éthiques. Sachant que l’élection est sans doute gagnée pour lui, il aurait du tendre la main et rester calme. Il aurait ainsi pu démontrer combien lui, au contraire de Marine Le Pen, est prêt à assurer la fonction présidentielle. Pari manqué.

Pour reprendre une saillie de Gilbert Collard, nous avons eu l’impression d’assister, hier soir, à un combat entre deux mégères se crêpant le chignon. Ce débat restera dans les anales comme le pire d’entre tous mais aussi comme le symbole de l’affaissement culturel de nos dirigeants. Alors qu’en 1981 Giscard et Mitterrand citaient Mac-Mahon et le pamphlétaire Antoine de Rivarol, hier soir nous avons assisté à un débat d’une pauvreté navrante. Sans aucune mise en perspective, sans aucune profondeur, en un mot : le paroxysme de la société du spectacle !

Par Ghislain Graziani

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