2 décembre 2016
Le renoncement du Président

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Jusqu’au bout il aura su manier l’art de l’indécision, du jeu, du soupesage, du refus de trancher. Jusqu’au bout il aura voulu jouir d’être le maître de son destin, n’ignorant sans aucun doute qu’à l’instant même où il terminerait son discours, il n’aurait plus aucun pouvoir. Mais au moment où il entame celui-ci dans une ambiance lugubre qui ressemble plus à une cuisine tchécoslovaque des années 50 qu’au studio de télévision de l’Elysée, François Hollande est presque le seul à connaître la teneur de son message. Jusqu’aux presque deux tiers de son allocution et ce malgré sa voix blanche, son débit incertain et son teint blafard, à la façon de vanter son bilan, de s’en revendiquer et d’admettre ses erreurs, nombre d’entre nous ont pu être persuadés qu’il se représentait. Et puis non. Au nom de l’unité, du rassemblement, de la conception qu’il se fait de l’Etat, il renonce.

Sérieux, digne, courageux, lucide, le Président de la République s’efface pour le bien de la Nation. En une fraction de seconde le voilà dépouillé de toute autorité, réduit à un rôle de concierge intérimaire de la République en attendant les prochains propriétaires. L’Histoire – puisqu’apparemment la trace qu’il y laissera le travaille – se souviendra de lui comme un homme honnête, intègre, désintéressé de son propre sort, n’ayant pas cédé aux atours du pouvoir. La Vème République qui jusqu’ici avait connu les réélections, les défaites, les espoirs brisés et les folles épopées, expérimente en ce 1er décembre 2016 le sacrifice de soi.

Baraka disparue

François Hollande a choisi de ne pas se soumettre au peloton d’exécution des citoyennes et des citoyens français. Certains prétendront qu’il a préféré la fuite à l’humiliation. Ils auront tort et manqueront à coup sur d’élégance pour une décision qui sans l’ombre d’un doute n’a pas du être facile à prendre. Comment ne pas replonger dans le bain ? Comment ne pas vouloir en découdre face à une droite enivrée de puissance, un Front National donneur de leçon et arrogant et une gauche de la gauche vociférante et demandeuse de castagne ? Comment ne pas avoir confiance en soi ? Comment ne pas se dire que les sondages sont certes vertigineusement affreux mais qu’il est toujours possible de retourner la table, de vaincre le destin, de se dépasser soi-même ? Les mythologies antiques ne sont-elles pas pleines de ces héros perdus d’avance, de ces figures allégoriques qui ont su faire mentir leur triste prédestination. Mais François Hollande aura trop longtemps joué avec le plaisir ou la colère des Dieux. Et ces derniers l’ont abandonné ! Sa belle et célèbre intuition s’est grippée. Et comme un César aveuglé, il n’a pas judicieusement jugé la teneur de la trahison de ses Brutus en pagaille. Arnaud Montebourg, Emmanuel Macron et enfin Manuel Valls. A chaque fois il s’est encore cru capable de les museler, de les réduire, de les battre. Hélas pour lui, sa faiblesse sondagière et son rejet profond par le pays ont été des hypothèques trop fortes. Et son Premier ministre a su parfaitement manœuvrer. S’il renonce à un second mandat aujourd’hui c’est bien évidemment parce qu’il s’est trompé mais c’est avant tout parce que face à lui s’est dressé un joueur plus jeune et encore plus assoiffé de puissance. Voilà bien sa plus grande erreur : le pouvoir n’a jamais été pour lui une source de jouissance.

Et maintenant ?

Le fossoyeur des ambitions de François Hollande se nomme Manuel Valls. Il a su mener de main de maître une partition ardue, véritable jeu d’équilibriste. Prêt à quitter Matignon pour pouvoir mener campagne, il ne s’est effacé que pour duper François Hollande. Lui faire croire qu’il était rentré dans le rang aura été son coup de grâce. Le piège s’est refermé en trois jours sur un Président de la République conscient que jamais la gauche ne se rallierait à lui.

Mais que Manuel Valls ne se réjouisse pas trop. Il est comptable du bilan et suscite surement le même rejet. Face à Arnaud Montebourg dans la primaire de la gauche, le Premier ministre a-t- il la moindre chance ? La confrontation aura au moins le mérite de clarifier les positions et les orientations de chacun. De la gauche même. Le retrait de François Hollande permet à la gauche de débattre plus sereinement, lui évitant d’être polluée par l’inévitable polarisation liée à sa personne. En un sens François Hollande a rendu ce soir un immense service à la gauche française. Il lui a peut-être permis de ne pas mourir. Au-delà de l’idée que l’on se fait de l’homme reconnaissons lui ce mérite. Dès ce soir puisqu’il n’y a plus de sortant, tout est à reconstruire! Si Arnaud Montebourg gagne la primaire il lui sera certes reproché son appartenance au gouvernement Ayrault, mais il pourra mettre en avant sa démission et son refus du social-libéralisme. Il pourra même tendre la main à Jean-Luc Mélenchon pour qui sait une recomposition crédible de la gauche.

Un dernier mot enfin pour un homme qui, quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de lui, aura vécu au plus haut de l’Etat des épreuves inimaginables et écrasantes. Oui il y a tant d’échecs, tant de déceptions et il nous a emmené si loin du discours du Bourget et de la campagne de 2012. Mais il ne serait pas juste d’oublier que le 13 novembre 2015, au soir des actes barbares qui nous ont tous touchés, au Congrès à Versailles, ou bien encore cet automne lors de l’hommage aux victimes de l’attentat de Nice, François Hollande a su nous parler, a su incarner la République. Pour ses mots prononcés en ces jours de peine et pour son choix de se retirer, l’Histoire, éspèrons-le, lui rendra grâce.

Par Ghislain Graziani

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