20 novembre 2011
The Melomaner-Breughel à la sauce catalane

Pour inaugurer sa saison lyrique, le Teatro del Liceu frappe fort avec Le Grand Macabre de György Ligeti, donné jusqu’au 1er décembre. Créé en 1978 à l’Opéra de Stockholm, le chef-d’œuvre du compositeur hongrois a rapidement acquis une renommée légitime, bien au-delà des cercles restreints de l’avant-garde musicale, mais n’avait pas encore foulé les planches de la péninsule ibérique. Après avoir été présentée avec succès à Bruxelles et Londres,cette coproduction commandée aux célèbres trublions de La Fura del Baus- on leur doit une géniale Flûte enchantée à Bastille -vient corriger cette injustice. Inspiré par la pièce de Michel de Ghelderode, La Ballade du Grand Macabre, l’opéra dépeint les aventures de Nekrotzar, dit Le Grand Macabre, venu annoncer la fin des temps. Le peuple de Breugheland est bigarré, comme dans les tableaux du peintre flamand : bambocheurs accrocs au vin, amoureux enlacés sans répit, Astradamors, astrologue de la cour formant avec Mescalina un couple sadomasochiste, ministres se querellant sans fin. L’apocalypse promise n’aura pas lieu, et l’opéra se termine sur un hymne aux plaisirs, dans la plus pure tradition de l’opéra bouffe. La parodie, tant dans les noms des personnages que dans les situations, rappelle ainsi Alfred Jarry; face à l’insignifiance de la vie, le rire n’est il pas le meilleur antidote? Le travail de la compagnie catalane assume la crudité sexuelle et scatologique de l’ouvrage, attentant joyeusement aux tabous de la bienséance, sans jamais verser dans la vulgarité. Le spectacle est construit autour d’un corps de femme accroupie, écran de projections vidéographiques, et qui sert de carte géographique du territoire du Breugheland. Et ce sont tous les symbolismes usuels qui se retrouvent habilement pervertis, à l’instar de la tombe du Macabre sise dans le téton droit! Les ministres, eux, sortent de la fente rectale du décor quand ils se livrent à leur joute verbale d’insultes suivant l’ordre de l’alphabet. Les valeurs sont ainsi corrodées par un humour impitoyable, grâce à une scénographie d’une cohérence imparable. Le directeur musical du Liceu, Michael Boder, met en valeur les sonorités étranges et irrésistibles d’une partition semée de pastiches et de parodies, et qui s’ouvre sur un inoubliable canon pour douze klaxons. Les chanteurs, avec Chris Merritt en Piet the Pot, participent à la réussite de la soirée. Un bémol? l’œuvre est donnée en anglais, contrevenant aux intentions du compositeur, pour lequel il fallait la jouer dans la langue vernaculaire des spectateurs. Car le sens – et le non-sens des paroles – est d’égale importance à la musique. Peut-être cela aurait-il libéré les résistances du public. Il n’en reste pas moins que l’on attend avec impatience le retour du Grand Macabre que l’on a pas revu en France depuis les représentations du Théâtre du Châtelet dans la mise en scène de Peter Sellars, venue de Salzbourg, il y a une quinzaine d’années.

Par Gilles Moiné-Charassier

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