2 mars 2024
Boris Godounov ou le revers du pouvoir selon Olivier Py


Il y a des signes auxquels on reconnaît d’emblée un spectacle d’Olivier Py, comme un dispositif
scénique rotatif, des effets de dorure ou quelques musculatures masculines. Souvent, rien
n’inspire mieux le metteur en scène français que les drames historiques ou religieux. A
l’évidence, la comparaison avec le diptyque Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias donné
l’an dernier le confirme. Avec son panneau réversible, dessiné par le complice de toujours
Pierre-André Weitz et sous les lumières de Bertrand Killy, collaborateur habituel du duo, sa
lecture du Boris Godounov de Moussorgski restitue le drame du pouvoir dans un carton-pâte de
façades : côté pile une parodie de l’immeuble de la Douma, le Parlement à Moscou ; côté face
des étages d’arcades dorées où vit le tsar et se trament des complots. Les jeux de pouvoir
prennent quelques accents d’actualité dans les costumes guerriers, ou le face-à-face entre
Poutine et Staline sur une fresque murale. A défaut d’un renouvellement dans son travail, Olivier
Py puise dans ses invariants pour mettre en avant la solitude de Boris, accentuée par la
concision de cette première version, recalée par la censure des Théâtres impériaux en 1869,
faute d’une intrigue amoureuse, laquelle fera son apparition dans la réécriture par le
compositeur, avec ce qu’on appelle désormais l’acte polonais. Mais cette mouture initiale, qui
s’inscrit progressivement au répertoire depuis que Valery Gergiev l’a défendue et enregistrée il y
a plus de deux décennies avec le Marinsky, possède une force que les interprètes de cette
production relaient efficacement.

Une musique puissante et expressive

Car c’est bien la musique qui prime dans ce Boris. Si l’annulation de Mathias Goerne pour les
représentations parisiennes peut décevoir certaines attentes, la présence d’Alexander
Roslavets dans le rôle-titre n’a rien d’une incarnation par défaut, au contraire : derrière la solidité
des moyens vocaux affleure avec un sens de la caractérisation psychologique les fêlures du
souverain face à son destin. Autour de ce pivot s’affirment la jeunesse fragile du Fiodor de
Victoire Brunel aux côtés de sa sœur Xenia, confiée à Lila Dufy ; l’homogénéité protectrice de
Svetlana Lifar en nourrice ; le mordant du Chou£iski de Marius Brenciu et la robustesse de
Mikhail Timoshenko en Chtchelkalov. Si Roberto Scandiuzzi manque sans doute de la
profondeur des graves qui font l’autorité d’un Pimène, Yuri Kussin et Fabien Hyon résument bien
la foi de Varlaam et Missaïl plus portée sur la boisson que sur les Ecritures, dans un tableau
agrémenté des répliques bien timbrées de l’Aubergiste de Sarah Laulan. Le Grigori d’Airam
Hernandez et l’innocent de Kristofer Lundin complètent avec deux avatars incontestables de
ténor de caractère une distribution où interviennent également le Choeur du Capitole et la
Maîtrise des Hauts-de-France. Mais le maître d’oeuvre de la réussite musicale de la soirée reste
Andris Poga, qui, à la tête de l’Orchestre national de France, fait ressortir, avec une belle
précision expressive, la puissance et la rudesse des couleurs et des harmonies de l’écriture de
Moussorgski.

Par Gilles Charlassier

Boris Godounov, Théâtre des Champs Elysées, du 28 février au 7 mars 2024.

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