18 octobre 2019
Ouverture de saison symbolique à l’Opéra des Flandres avec Don Carlos

Pour l’inauguration de son mandat à la tête de l’Opéra des Flandres, Jan Vandenhouwe a choisi un chef-d’oeuvre à la portée éminemment symbolique. Le Don Carlos de Verdi évoque la période – ou l’occupation, selon le point de vue – hispanique de l’histoire flamande au seizième siècle, la province appartenant au Saint-Empire Romain Germanique, dont le souverain emblématique de l’époque, Charles-Quint, évoqué dans le drame, est né à Gand. Pour autant, la production se garde intelligemment de toute tentation de récupération. Non seulement, la première a eu lieu à Anvers, mais l’ultime version dite de Modène, créée en 1886, est ici chantée en français, la langue du livret original de Méry et du Locle et dans laquelle le compositeur a pensé sa musique, court-circuitant l’ombre de la partition linguistique belge, moins exclusive à l’Opéra des Flandres depuis que l’anglais, cette saison, vient compléter le néerlandais des surtitres.

Confiée à Johan Simons, que le public de la Bastille avait découvert il y une dizaine d’années dans un Simon Boccanegra faisant l’économie de toute référence à la Gênes médiévale, la mise en scène préfère l’exploration des sentiments à la grandiloquence politique, s’autorisant une interversion des deux premiers actes, pour faire de Fontainebleau un flash-back mémoriel – non sans pertinence formelle, par le rapprochement, à la manière d’une arche, les deux avertissements du moine, au début et à la fin de la soirée. Dessinée par Hans Op de Beeck, la scénographie redimensionne l’action à l’échelle de la solitude du héros, jusqu’aux confins du délire. Si les cartes postales vidéos en fond de scène prennent le parti du souvenir et de l’onirisme dans une simplification plastique parfois très schématique, sensible aussi dans les costumes de Great Goiris, que le grossissement démesuré des accessoires et du mobilier, vidés de leurs détails et de leur fonction sociale et religieuse, accentue, le dénuement du plateau éclaire de manière saisissante l’isolement du roi à la fin de l’autodafé. A rebours de certaines littéralités spectaculaires, la présente lecture, d’une évidente cohérence, se concentre sur l’intimité des tourments, mettant l’arrière-plan historique entre des parenthèses que suggèrent les lumières tamisées de Dennis Diels, quitte à frustrer certaines interactions complexes entre les deux niveaux de l’intrigue, laissant à la baguette d’Alejo Pérez le soin de prendre en charge la traduction musicale précise qu’en a fait Verdi.

Expressivité orchestrale

Pour sa première production en tant que directeur musical de l’institution flamande, le chef argentin ne se contente pas de soutenir, sans faiblir, la puissance dramatique de l’oeuvre. Sollicitant avec tact les ressources expressives de l’Orchestre Symphonique de l’Opéra des Flandres, il s’attache à faire vivre, avec un authentique instinct lyrique, la trame harmonique et rythmique pour éclairer les demi-teintes et les tensions qui sourdent au fil de la partition, enrichissant la vérité des peintures psychologiques que sont les grands airs – l’ultime d’Elisabeth, au cinquième acte, se révèle, à cet égard, éloquent.

Dans le rôle-titre, Leonardo Capalbo se montre à la mesure de la conception du metteur en scène néerlandais. La vaillance du ténor italiano-américain fait palpiter une impulsive juvénilité, avec parfois des accès d’emphase, sans jamais négliger l’émouvante vulnérabilité du personnage. Kartal Karagedik affirme une pertinente complémentarité, avec un Posa robuste, presque âpre ça et là, qui n’oublie pas l’intensité des affects. Mary Elizabeth Williams résume une Elisabeth sensible et investie, qui contraste, par la nervosité de sa tessiture, avec certaines images plus distantes de l’héritière des Valois. Raehann Bryce-Davis condense le stéréotype que l’on attend d’Eboli, avec un medium et un registre de poitrine nourris. Andreas Bauer Kanabas équilibre un solide Philippe II, entre autorité et inquiétude, tandis que Werner van Mechelen, remplaçant Roberto Scandiuzzi, évite la caricature du Grand Inquisiteur quasi grabataire. Les interventions du Moine reviennent à Justin Hopkins, également l’un des députés flamands et membre du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres, comme Annelies van Gramberen, à laquelle sont dévolues les répliques de Thibault et de la voix céleste. Préparés efficacement par Jan Schweiger, les choeurs fournissent les effectifs des cinq autres députés ainsi que le héraut royal, complétant l’affiche d’un Don Carlos qui relie habilement le répertoire et la vitalité contemporaine.

Par Gilles Charlassier

Don Carlos, Verdi, Opéra des Flandres, Anvers et Gand, septembre et octobre 2019

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