16 janvier 2019
Les Stylos Noirs

 

Dimanche 13 janvier, il y a 120 ans jour pour jour, on fêtait l’anniversaire du « J’accuse », célèbre texte fondateur de l’expression de la colère chez un homme, écrivain de son temps et accessoirement journaliste, Emile Zola. Sa lettre au Président de la République d’alors, Felix Faure, fut publiée dans le quotidien l’Aurore, devenu Le Figaro. En 2014, nous posions la question de savoir si Zola aurait aujourd’hui un blog? A l’époque de Twitter, de Facebook, rappelons -le créé à l’origine pour « choper » des filles sur le campus, ou d’Instagram plébiscité par les jeunes (on y trouve entre autre Camille, quelques 100 000 abonnés friands de ses photos « moi à la plage, moi en train de manger chez Macdo » -là, c’est du publireportage), comment prendrait-il la parole, avec des médias dit classiques soumis à l’autocensure-la pire, aux annonceurs et aux actionnaires.

Ecrit en 1885, Germinal, livre fleuve de plus de 700 pages y romance son reportage dans les mines de charbon du Nord avec un parallèle entre l’éveil de la conscience ouvrière et la Révolution française; un siècle et demi plus tard, le récit de la vie misérable et de la révolte d’Etienne Lantier, des Maheu ou de l’anarchiste Souvarine sont toujours au programme des 4ème dans tous les collèges de France, certes en version courte-200 pages. Et si pour ces jeunes habitués aux réseaux sociaux, Facebook, « c’est pour les vieux », c’est sur ce réseau social que 65 000 « amis » travaillant pour l’Education Nationale, @les Stylos rouges, de se sont mobilisés pour dénoncer « leurs longues études, leurs travail de plus de 40 heures par semaine, leurs conditions de travail dégradées et leur pouvoir d’achat qui fond ».

Voilà quatre point qui résument également les professions juridique, juges, greffier et avocats en pleine reforme de la justice, tout comme celles des universitaires, des professeurs d’hôpitaux, des intermittents du spectacle et celle de l’information. Bref, toutes les professions dites « intellectuelles », désormais synonymes de pauvreté à l’exception des très rares « en haut de l’affiche ». A ce titre, la quatrième de couverture du dernier Goncourt, Nicolas Matthieu est édifiante.  « Après des études d’histoire et de cinéma, il s’installe à Paris, où il exerce toutes sortes d’activités instructives et presque toujours mal payées. (…). Aujourd’hui, il vit à Nancy et partage son temps entre l’écriture et le salariat ». Résumé: comme 90 % des auteurs, il ne vit pas de sa plume. Enfin depuis novembre, avec 380 000 livres vendus (on serait à 400 selon le service de presse d’Actes Sud sans le mouvement des gilets jaunes), une belle maison d’édition appartenant à l’éditrice avisée François Nyssen, pour rappel ancienne Ministre de la Culture du gouvernement Macron, à raison de 10 % de droits d’auteur, il devrait pouvoir se consacrer à l’écriture.  » On n’attendait plus seulement de vous une disponibilité ponctuelle, une force de travail monnayable. Il fallait désormais y croire, répercuter partout un esprit, employer un vocabulaire estampillé, venu d’en haut, tournant à vide, et qui avait cet effet stupéfiant de rendre les résistances illégales et vos intérêts indéfendables », passage cité dans le seul média encore libre sur papier, Le 1, que l’on vous recommande vivement, tout comme le replay de l’Envoyé Special du 13 décembre 2018 où Elise Lucet- l’arbre qui cache la forêt- a pu montrer les mutilations digne d’un guerre subies par les GJ comme cette jeune étudiante qui a perdu pour la première manif de sa vie, un oeil le 8 décembre sur les Champs Elysées. Hier soir, Anne Sophie Lapix a également consacré enfin un reportage à ce pompier gilet jaune actuellement dans le coma après avoir reçu un flashball en pleine tête, reprenant le témoignage de David Dufresne, auteur au Seuil et journaliste qui a « ouvert » son compte Twitter aux signalements de bavure, il en est à 300 ce matin.

Comme se plait à le souligner de nombreuses voix, nous ne sommes plus à l’époque de Germinal avec des mineurs qui tombent sous les balles réelles des soldats; neuf morts, 300 signalements de bavures policières, 18 personnes éborgnés à vie, les vidéos circulent sur les réseaux sociaux pour montrer ces Gilets jaunes qui se font nasser, gazer, flashballer, bastonner, avec de rarissimes relais sur les médias TV, y compris sur le service public. Lequel a annoncé pour France Télévision, un millier d’emplois supprimés d’ici 2022. Voilà qui ne redonnera pas le moral dans les écoles de journalisme ni à ceux qui espèrent que, contrairement à ce que dit Alain Soral, les journalistes ne sont pas tous « des putes ou au chômage. » De l’importance de mélanger les couleurs; on peut également être pigiste avec au bout de trois mois salarié dans une même rédaction avec à la clé, l’obtention de la carte de presse « journaliste stagiaire »de la Commission; ou attendre beaucoup plus longtemps comme Remy Buisine, cameraman chez Brut au parcours atypique, qui a fini l’an dernier par l’obtenir comme il le revendique sur sur compte Twitter, comptant 45 700 abonnés. Voilà qui résume beaucoup des journalistes qui ne « rentrent pas dans le moule » avec l’idée « de ne pas vouloir ressembler à une tarte ». Qui évite les écoles où l’on formate les journalistes trop souvent comme un produit; des OS de l’information, chair non plus à canon mais à bastonnade comme samedi dernier à Rouen, contraints par la logique « robinet à info », à être sur le terrain non stop, avec une nouvelle »story » à chaque passage en direct.

Des images choc, le consommateur spectateur les réclame, la rédaction aussi. C’est la logique de l’offre et de la demande, de la rentabilité, désormais devenue la règle comme dans les hôpitaux où le chef de service des urgences pédiatrique à l’hôpital Robert Debré fustige « des patients qui se croient chez Carrefour ». La chose n’est pas nouvelle: en 1994 déjà, j’avais été surprise d’entendre un journaliste à la rédaction de TF1 où j’étais stagiaire me dire que « payé deux fois plus que chez France2 »-où je venais de faire également un stage dans une ambiance très syndicalisée, il devait le respect à son patron ».

Tout dépend ainsi de ce que l’on entend par « respect ». Voilà une logique démontée avec talent par Juan Branco, exceptionnellement en libre accès, sur Là-bas si j’y suis.fr, site créé en 2015 par Daniel Mermet, figure historique de France Inter, précurseur des twitt avec son répondeur accessibles aux auditeurs; accessoirement 40 ans de CDD chez Radio France qui l’ a remercié malgré ses audiences en 2014. Il a été relaxé depuis pour ses pseudo incitations à la haine raciale et les attaques sur la gestion de son équipe, avec cette idée de « qui veut piquer son chien l’accuse de la rage ». En témoigne, en ce qui me concerne, le papier à charge publié dans Le Parisien.fr qui n’a plus rien de »libéré », rédigé par une stagiaire « castée » avec perversité pour me piéger, article joyeusement rewrité pour le titre et les intertitres par ses supérieurs comme j’ai pu l’apprendre des rares n’ayant pas choisi de partir avec la clause de conscience en 2016, date du rachat du journal par Bernard Arnault, 4 ème fortune mondiale selon Forbes. Le Checknews de Libération, pourtant propriété de Patrick Drahi, BFMtv a été avec les mêmes éléments-mon CV et mes réponses à leur interrogatoire en règle-beaucoup plus objectif- lire.

Alors, ce 15 janvier 2018, nous en appelons à tous ces « stylos noirs » dans la mouvance des Gilets jaunes où tant se reconnaissent- certains diraient avec condescendance, les fautes d’orthographe en moins- d’exprimer leur colère sur @Stylosnoirs, compte Twitter et Facebook devant cette facture sociale imposée par le 1% des plus nantis aux 99 % de la population, huit ans après Occupy Wall Street et 120 ans après Zola. Le monde nous regarde comme ce très chic romain qui m’a dit à Noël, « En France vous avez la contestation dans vos veines, nous les italiens, on souffre autant mais en silence ». Prenons donc tous notre plume et occupons nos « ronds-points « à nous face à la violence des riches, ce casse social dénoncé il y a déjà cinq ans par les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, son mari dans leur livre La violence des riches, Edition La découverte.

L’histoire est sans doute EN marche; il n’y a aucune raison que cela ne se fasse que dans le sens voulu par notre président,  élu par un Français sur deux, faute de mieux.

Par la rédaction

 

 

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