11 mars 2014
Sabine Devieilhe/ Mise en orbite

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2012. Sabine Devieilhe a 26 ans. Elle est élève au Conservatoire et se rend « en se disant qu’elle n’a rien à perdre » à une audition générale à l’Opéra Bastille. Philippe Jordan, le directeur musical de l’Opéra de Paris est descendu exprès de son bureau, Nicolas Joël est également dans le salle. Ils resteront ensemble trois quart d’heure: l’ exercice qui se limite généralement en un plus ou moins agréable « au suivant » devient une répétition improvisée sur l’air de la Reine de la nuit que Sabine avait choisi de présenter et qui scelle le début de ce que l’on appelle une carrière. Un souvenir qu’ils n’ont pas manqué d’évoquer ces dernières semaines où la jeune colorature française est en train de se préparer à cette prise de rôle dans la mise en scène de Robert Carsen, ce fameux air aux aigus stratosphériques qui fait retenir son souffle à quiconque l’entend chanter en « live ». Ainsi, à voir la silhouette frêle et la jeunesse de celle qui fut consacrée  espoir lyrique l’an dernier aux Victoires de la musique classique en interprétant déjà cet air,  se dit-on qu’il y a là quelque chose d’irrationnel. Et comme c’est justement ce qui fait la magie- toutefois jamais assurée- de l’opéra, cette Flûte enchantée devrait assurément faire parler d’elle. En attendant, c’est dans un restaurant à la mode, face au gros monolithe blanc où elle répète quotidiennement que nous la retrouvons, avec ce petit frisson d’être les seuls à savoir, parmi les clients attablés, quelle voix elle est capable de déployer sur une scène.

C’est la première fois que vous allez chanter à  l’Opéra Bastille, vous vous sentez comment?

Cela s’est passée de façon tellement idéale lorsque j’ai été choisie pour le rôle…A l’époque , Philippe Jordan a cherché à voir si j’étais réactive, malléable et si j’avais la colonne vertébrale pour le faire. La barre est très très haute avec une équipe composée d’allemands comme la coach vocal avec laquelle je travaille. Les décors ne sont pas encore là mais j’ai pu entrer dans le rôle avec le costume qui est magnifique et très sobre,  une robe de couturier et un long manteau en cachemire.

Comment appréhende -t’on  ce rôle de mère limite hystérique?

Ce qui est très intéressant pour moi, c’est d’avoir eu déjà deux perceptions du rôle; à Lyon,  j’étais quasiment une divinité, montée à 2 mètres 50 du sol, une véritable allégorie de la puissance et du pouvoir. La place de l’ interprète est alors presque dépassée par la représentation du metteur en scène. Ici, avec Robert Carsen, c’est l’opposé: Zarastro et la Reine sont de vraies figures parentales. Elle est une femme avec les pieds sur terre qui souhaite pour sa fille le meilleur et sait que ce conte initiatique va leur coûter à toutes les deux mais qu’il est indispensable. J’ai donc la chance avec la même partition, les mêmes douze minutes de chant qui sont très très courtes de pouvoir interpréter deux visions très différentes, c’est ce qui est passionnant dans ce métier.

Cela demande beaucoup de préparation?

Les répétitions sont assez courtes, seulement quatre semaines;  en revanche, nous allons avoir plus d’un mois de représentations, ce qui est très reposant et très confortable pour la voix. Le travail pour ma voix, c’est maximum deux heures par jour, mais je le fais tous les jours, principalement chez moi devant une glace. L’idée c’est de travailler la souplesse. Et la technique pour, une fois sur scène, pouvoir l’oublier.

Voilà deux ans que vous savez que vous chanterez ici, cela se décide toujours autant en amont?

Oui, c’est une façon très particulière de travailler; il faut apprivoiser cette notion de temps dont on n’est pas forcement maître et en même temps garder les choses bien en main et savoir quelle sera l’évolution de notre voix dans les prochaines années. Il faut à la fois lâcher du lest et être sûre de soi, c’est compliqué mais en même temps passionnant; c’est vraiment de l’artisanat, on façonne à très long terme un instrument. Pour moi qui suis au tout début de ma carrière, avoir une visibilité sur trois ans, quatre ans ça parait aberrant mais c’est le propre du travail.

A quoi ressemble désormais votre vie? Beaucoup de voyages?

Cette année est formidable avec trois productions à Paris, c’est une grande chance qui ne m’arrivera  sans doute plus souvent. Je suis donc en train de me recharger pour ce qui m’attend. Je suis aussi très heureuse de pouvoir retourner en Normandie et retrouver ma famille; je suis chez moi là-bas et ne pense pas que j’en serais là si j’avais commencé dans un conservatoire à Paris. J’ai été tellement entourée de gens bienveillants et humbles à Caen puis Rennes. Grâce à cela, je suis arrivée à « maturité » au Conservatoire à Paris, avec une confiance en moi qui n’a pas de prix.

Entre les répétitions, vous avez le temps de voir d’autres opéras, avoir des sorties culturelles?

Cela n’est pas toujours facile à trouver mais je veux aller voir par exemple le Misanthrope avec Michel Fau que j’aime beaucoup. Quant à l’Opéra Bastille, j’y suis allée longtemps en tentant ma chance avec les  places à 25 euros pour les moins de 28 ans qui sont mises en vente au dernier moment chaque soir.

Vos parents sont dans la musique?

Non, mais ce sont des gens « éduqués », des instituteurs qui ont toujours laissé une très grande place à l’éveil de leurs enfants; on est quatre filles qui ont toutes touché à la musique. Pour moi, cela a commencé à 6 ans et demi avec un violoncelle-un « mini » tout comme la chaise qui me suivait partout car j’ai un petit gabarit. J’en aimais les harmoniques graves ce qui est paradoxal avec ma voix qui a toujours été très aigu. Au final, il n’y a pas vraiment eu de vocation ni pour le violoncelle, ni pour le chant mais plutôt une suite logique et un épanouissement naturel qui m’a emmené très loin.

Le chant est arrivé quand?

J’ai très tôt été dans une chorale, en même temps que le violoncelle et le solfège. J’ai beaucoup aimé aussi la musicologie qui m’a fait aller à la fac de Rennes; c’est là que j’ai intégré le choeur de l’Opéra et que je me suis rendue compte que ma voix répondait encore plus à ce que voulait mon oreille. J’ai alors préparé le concours du Conservatoire de Paris en réalisant que je ne pouvais plus faire semblant et que j’étais chanteuse.

Pourquoi avoir choisi Rameau pour votre premier disque enregistré?

Il y avait à la fois le « calendrier » avec le 250ème anniversaire de sa mort cette année et puis pour m’affranchir du récital type de la jeune soprano qui chante aigu. C’est un grand risque car il est très méconnu, mais je voulais défendre ce compositeur.

Vous craignez la solitude du soliste?

C’est vrai que pour le rôle de la Reine de la nuit, c’est pas exemple ne pas pas être convoquée en même temps que ses collègues, un vrai rôle de vieux loup solitaire qui ne me correspond pas du tout. Le propre de ce métier va ainsi être pour moi de savoir équilibrer le temps libre et le temps de travail, le temps où je serai seule ou en collectivité.

Comment vous voyez-vous dans vingt ans?

Je m’espère hyper épanouie dans mon métier en ayant encore le temps d’être touche à tout; je ne renie pas mon amour pour le chant mais j’ai besoin de sans cesse équilibrer la balance, comme de retourner chez moi en Normandie, savoir d’où je viens.

D’où elle vient et où elle ira. Sans aucun doute très loin et très haut à l’image de cette voix que vous pourrez pour certains découvrir à partir du 11 mars à l’Opéra Bastille. En attendant la suite…

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

 

 

 

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