Agnès b. ressemble à un chat siamois, lesquels comme chacun sait possèdent sept vies. Cela est vrai chez elle aussi, à un détail près: les siennes sont en même temps. Une vie de mère, 5 enfants dont l’ainé est Directeur de la société Agnès b., un vie de femme sous son vrai nom, Agnès Troublé, une vie de chef d’entreprise avec des boutiques dans le monde entier, une vie de styliste-quatre collections par an depuis son fameux gilet pression en 1979 avec des nuits blanches en perspective à l’approche de la Fashion week, une vie de galeriste avec l’exposition en ce moment rue Quincampoix des oeuvres de Kenneth Anger, « Monsieur Colère »comme elle l’appelle-et enfin, une vie de réalisatrice avec son premier long métrage Je m’appelle Hmmm qui sort prochainement. De films il est aussi question avec cette carte blanche que lui a offert le Festival de Deauville pendant lequel la rencontre a lieu dans les jardins ensoleillés d’une magnifique Villa Belle Epoque face à la mer, superbement aménagée pour l’occasion par Cartier; elle, dans une simple robe noire avec des espadrilles blanches à talon en parfaite syncronicité avec les miennes…
Vous étiez sur scène hier pour présenter votre sélection de films américains, dans ce grand auditorium, quel effet cela vous a fait?
Je suis plutôt discrète, mais j’ai un peu l’habitude…Une fois que je me jette à l’eau , je me jette à l’eau. J’ai préféré montrer des curiosités que des films mythiques comme Il était une fois en Amérique, Taxi Driver, Asphalt Jungle, The Last picture show. J’aime bien le côté extrême quand c’est réussi. Dans les classiques, Morocco est mon préféré.
Vu les films que vous venez de me citer, vous avez dû être ravie que Tarentino s’adresse à vous pour l’habiller!
C‘est quelqu’un de très attachant, ça a commencé par un quart d’heure qui s’est transformé en deux heures au Lancaster et à Cannes, j’étais sur ses genoux! Pour Reservoir dog, il avait simplement envoyé son habilleuse chez Agnes b. car les costumes que je fais ne sont pas datés. C’est pour cela que j’habille beaucoup le cinéma. Il y a aussi l’idée que chacun soit lui-même dans mes vêtements; le vêtement n’est chez moi qu’une proposition, épuré pour enlever le superficiel. La veste en lin noir avec le col en cuir de Pulp fiction par exemple, John Travolta a redemandé la même dix ans après en disant qu’elle était trouée aux coudes et qu’il voulait exactement la même. On lui a refaite! Il y a aussi David Lynch que j’habille depuis 25 ans. Tout cela crée une relation à moi à travers leurs vêtements, il y a beaucoup d’affect.
De là à arriver vous-même dans le cinéma…
Vous savez, c’est Christian Bourgois qui a fait mon éducation, je me suis mariée à 17 ans. Le B vient de là, juste l’initiale car je ne voulais pas m’approprier son nom, je voulais aussi le côté anonyme aussi. J’ai eu l’idée en deux minutes! J’aime accueillir les idées en faire quelque chose comme lorsque j’ai ouvert ma galerie d’art en 1983. Je ne fais que des choses qui m’intéressent. Le travail de styliste, je le fais avec une équipe que j’adore, très disponible, avec laquelle je peux travailler tard le soir. Je continue aussi à tout dessiner moi-même; je ne pourrais pas mettre mon nom sur quelque chose que je n’aurai pas dessiné moi. J’ai une chance, je travaille vite comme pour mon premier film dont je finis le montage Je m’appelle Hmmm », car elle ne veut pas dire son nom. Je n’ai pas trouvé d’autre titre que celui là. L’histoire est celle d’une petite fille qui fugue car elle n’est pas heureuse chez elle. C’est un road movie, une tragédie, un film contre les a-priori; j’aime en plus beaucoup les acteurs, Sylvie Testud, Jacques Bonnaffé qui joue un père abusif…Ils n’avaient jamais joué ensembles. On a maintenant plus qu’à retailler, mais le film est là.
Comment vous êtes-vous sentie derrière une caméra?
Le film est très visuel, donc j’ai simplement réalisé « mes « images; j’ai cadré moi-même les deux caméras, comme une évidence. Mon père était avocat, donc pas vraiment artiste mais il chantait, m’emmenait dans les galeries; je suis aussi allée en Italie avec lui et mon jeu c’était de reconnaitre les tableaux, puis j’ai fait les Beaux Arts quand j’étais à Versailles où nous habitions tout près du Château et du parc. Je voulais être conservateur de musée à l’époque, j’étais passionnée par le XVII et XVIII ème siècle, ça s’est d’ailleurs retrouvé dans mes vêtements. J’ai toujours eu envie de faire de l’art. Je trouve que ce monde est très fermé, très ésotérique et qu’il faut expliquer, mettre trois lignes sur le mur pour que les gens comprennent. Il faut donner les clés. Le cinéma en revanche, mes parents n’y allaient pas beaucoup. Je me souviens de ma mère nous emmenant voir Les belles de nuit et au moment où il y a un baiser sur la bouche, nous dire à mes soeurs et moi: « Je ne peux pas vous laisser ME regarder ça, on s’en va ». Elle nous a sorties du cinéma!
Après avoir partagé la vie d’un éditeur, quel est votre rapport aux livres?
J’en ai toujours un avec moi. En ce moment c’est Jane Austen, Orgueils et préjugés. Je suis accrochée dans ce livre alors qu’il m’embête! Mais je voudrais voir où ça va…C’est Christian qui m’a emmené beaucoup au cinéma, deux films par soirée, italiens, japonais…Un film quand on l’aime, on le revoit, on le garde dans sa tête.
Vous n’avez pas eu peur de vous faire aspirer par le milieu de la mode?
Je ne suis pas du tout dans ce milieu. J’admire Azzedine Alaïa que je connais depuis très longtemps, Jean Charles de Castelbajac avec lequel j’ai travaillé mais je ne fais jamais de shopping. Je ne suis jamais entrée dans aucune boutique, je me protège d’instinct, je n’ai pas envie de savoir ce que font les autres. Je fais ça à ma manière, comme une artiste. Je n’ai jamais fait de publicité par exemple. Je suis un enfant de 68 avec cette croyance que la pub rend con! Ce n’est que le bouche à oreille et le rédactionnel qui m’ont fait connaitre.
Et le made in France? J’ai vu que vous étiez très engagée pour défendre vos fournisseurs français.
Nous fabriquons à 50, 60 % en France contrairement aux autres marques qui sont à 5 %. Les riches chinois n’ont d’ailleurs pas envie d’acheter du made in China. C’est devenu notre force de leur vendre des chemises faites en France!
Agnès b, une sorte d’Astérix. Qui résiste. La comparaison la fait éclater d’un joli rire-elle si douce et discrète- avant que l’attaché de presse du Festival ne vienne nous interrompre. Les 20 minutes ont passé. La Libre Belgique attend. Après, seulement, viendra le bain de mer qu’elle s’est promis, n’oubliant pas de nourrir ce corps auquel elle offre des vêtements simples et élégants, humble artiste des tissus auquel elle prête ce qui s’appelle tout simplement le talent.
Par Laetitia Monsacré
Exposition Kenneth Anger jusqu’au 3 novembre à la Galerie du Jour, qui sera également présente du 15 au 18 novembre à Paris Photo au Grand Palais
Défilé prêt-à-porter femme printemps-été 2013 le 2 octobre à 11 heures 30 au Musée du jeu de Paume