Sept ans qu’on n’avait plus de nouvelles, en dehors d’une drôle d’entrée à l’Académie Française. Sept ans, et on s’est retrouvés avec un plaisir intact, une étonnante familiarité. Nous étions-nous jamais quittés ? François Weyergans n’a pas changé, il est toujours légèrement à côté, il marche, dilettante, sur les trottoirs du monde, derrière un jupe, un livre qu’il n’écrira sans doute jamais, le temps qui tourne à l’angle. Et il n’est finalement pas si mince le plaisir de retrouver quelqu’un, tant les amis changent et s’éloignent, sans parler de soi. Weyergans, c’est notre Woody Allen belge, la constance de la production en moins- quand on y pense, lorsque le dernier Woody Allen ne viendra plus au printemps (ou à l’automne), on se sentira, c’est sûr, un peu plus orphelin qu’avant. La comparaison n’est pas vaine, elle sourd même à chaque page. Comme le cinéaste d’ »Hannah et ses sœurs », François Weyergans – lui aussi cinéaste, au demeurant- est léger, sautillant, sans cesse amoureux et jamais exactement de la même personne. Il digresse, il dissimule autant que possible leur mélancolie sous un sourire ou une pirouette – et grâce leur soit rendue à tous les deux, car la tâche est ardue –, il veut marcher dans les villes, ne pas travailler, écouter Bach et lire Tchékhov, le soir, dans une chambre d’hôtel d’un pays enneigé.
Papillon de nuit
Dans « Royal Romance », Weyergans se dissimule à peine sous les traits de l’écrivain Daniel Flamm, qui s’énamoure d’une Justine à Montréal. Il part, il revient, ils s’écrivent, font l’amour, se déçoivent. L’intrigue est fine, là n’est pas le problème. Tout est, à nouveau, dans le charme des jours et des marques de bouilloires. La prose de Weyergans serait, en ce sens, une parfaite définition du charme : il n’y en a pas. Sans effets, sans reliefs, parfois sans presque rien, comment cet alignement de mots crée-t-il, la plupart du temps, cette grâce légère et envoûtante ? Pas de réponse, si ce n’est que son art consiste justement à ne rien en faire paraître. Comme son personnage, l’écriture de Weyergans est négligée, enlevée, drolatique, modeste, elle ne s’attarde jamais et préférera toujours le risque de l’insignifiance à celui de la pesanteur, au contraire de la plupart de ses confrères.
Alors oui, le livre passera peut-être sur nous comme une pluie d’été, sans laisser trop de traces, mais peu importe, l’air est lourd, ça rafraîchit. La légèreté ne devrait jamais être moquée, elle est aussi nécessaire à la survie de l’homme que la poésie, le pain, et, bien sûr, les bouilloires – de marque Bugatti.
Par Pierre Ducrozet
Royal Romance de François Weyergans- éditions Julliard, 19 €, 207 p.