Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, vient de perdre sa majorité absolue à la Douma, le parlement russe. C’est un évènement pour ce pays où le chef du Kremlin décide de tout ! Quelque 110 millions d’électeurs étaient appelés à voter dimanche pour désigner 450 députés. Un scrutin-test pour le Premier ministre Poutine, qui s’apprête à redevenir Président en 2012 et pourrait le rester pendant encore 12 ans ! Et bien, c’est une manche de perdue pour le nouveau tsar : son parti subit un sacré revers ! Un résultat alarmant pour le régime de l’ex patron du KGB car, il faut bien dire que la perspective de voir Poutine rester au Kremlin jusqu’en 2024 ne suscite guère l’enthousiasme d’une population de plus en plus critique.
Un modèle russe qui patine
Cela fait plusieurs années que la Russie régresse sous la férule de Vladimir Poutine. Les espaces de liberté se réduisent ; la société civile est étouffée ; le débat contradictoire inexistant ; l’opposition est complaisante et caricaturale, brisée par les autorités et perdue dans ses batailles d’ego. La manipulation des urnes, à la suite d’une campagne biaisée, accouche, sans surprise, d’une Douma godillot, à la solde du pouvoir exécutif.
Les trois locomotives du « modèle russe » – État – Patriotisme – Orthodoxie – patinent. Ainsi, le renforcement proclamé de l’État débouche sur un secteur public obèse, inefficace et corrompu ; le patriotisme affiché vire à l’exacerbation d’un nationalisme de plus en plus agressif ; la religion orthodoxe, présentée par la propagande comme une « source de spiritualité de l’identité nationale », paralyse toute velléité d’action au nom de la contemplation passive.
Une démocratie dirigée
La Russie s’enfonce donc dans le marasme de ce que les « think tanks » du Kremlin appellent la « démocratie dirigée », sous-entendu, le peuple russe serait génétiquement inapte à la démocratie tout court. Un déni de démocratie plombe la Russie et obstrue l’horizon pour ses futures élites dans la globalisation du XXIe siècle. Tel un enfant autiste, la Russie refuse de grandir, d’évoluer, de s’assumer, de s’ouvrir à un monde en pleine mutation, en exaltant sa prétendue exception et en ressassant la nostalgie de son passé. Plus de 170 opposants, dont l’écrivain Edouard Limonov, ont ainsi été interpellés dimanche alors qu’ils tentaient participer à des manifestations non autorisées à Moscou et à Saint-Pétersbourg afin de protester contre le déroulement des législatives.
Frustration et fatalisme
L’opinion russe oscille entre déception, résignation mâtinée de frustration, car les espoirs initiaux liés à l’arrivée au pouvoir d’un « jeune président dynamique » s’envolent. Brusquement, les Russes réalisent l’impasse dans laquelle se retrouve enfermé leur pays, une fois de plus dans l’Histoire, histoire pourtant ô combien riche en potentiel et en talents humains. Fatalisme, car les Russes formatés par des siècles de pesanteurs mentales restent fondamentalement persuadés qu’aucun changement n’est possible et que le statut quo, navrant, est immuable. Le tout dans un univers culturel, où le décalage entre pouvoir et peuple, « eux » et « nous », a toujours été astronomique. Le Printemps arabe, malgré sa dimension globale, semble un phénomène lointain qui ne concerne pas les Russes. L’idée de prendre en main leur propre destin ne les effleure même pas. Le déclin démographique prive le pays d’une jeune génération, qui en se projetant dans l’avenir, pourrait porter le changement, à l’instar du Proche-Orient. Hors, la Russie perd tous les ans 500 000 habitants environ…
Vers l’Union Eurasienne
Dans ce contexte délicat, Vladimir Poutine a cependant toutes les garanties de rester aux manettes décisionnelles en Russie jusqu’en 2024, en effectuant deux mandats successifs, selon la Constitution qu’il a modifiée à sa guise. Synonyme de la visibilité d’une Russie qui vit de sa rente gazière et pétrolière, en zigzagant entre une certaine opulence économique – au profit d’une nouvelle nomenklatura postsoviétique, et l’évidente indigence démocratique – au mépris des intérêts de son propre peuple. En restant un acteur global non-négligeable en raison de sa capacité de nuisance sur les dossiers majeurs : Europe, Syrie, Iran, bouclier antimissile, etc. Et surtout en mettant au cœur de sa stratégie géopolitique la récupération de son « étranger proche » – les pays de l’ex-URSS ayant déclaré leur indépendance en 1991. Un projet phare que le Kremlin présente sous le vocable de « L’Union eurasienne ». Back to URSS ?