22 février 2020
Eurydice, relecture contemporaine du mythe d’Orphée à Los Angeles

C’est avec le mythe d’Orphée que s’ouvre l’histoire de l’opéra, avec le premier chef-d’oeuvre d’un genre alors nouveau au début du dix-septième siècle : l’Orfeo de Monteverdi. L’histoire du poète pleurant son épouse jusqu’à aller la rechercher aux Enfers a largement inspiré tous les arts, et en particulier la musique. Artiste en résidence au Los Angeles Opera depuis 2016, Matthew Aucoin, compositeur américain de trente ans qui a également couronné en 2018 par le MacArthur Fellowhip en 2018, prix récompensant les nouveaux talents prometteur,s et a créé dans la cité angelina une partition pour Nosferatu, ainsi qu’un opéra, Crossing, dirige Eurydice, sa relecture de cet archétype intemporel, sur une adaptation par Sarah Ruhl de sa propre pièce homonyme, écrite en 2003, qui, en reprenant l’histoire depuis le point de vue de l’héroïne, donne à un rôle généralement laissé dans l’ombre de l’aède une voix et une incarnation inédites.

Dans cette adaptation contemporaine à l’évidente allure anglo-saxonne, intervient le père défunt d’Eurydice qui essaie de communiquer, par voie épistolière avec sa fille à l’annonce de son mariage. La jeune femme meurt après avoir été séduite par un Homme Intéressant l’invitant dans son penthouse, qui n’est autre qu’Hadès, le dieu des Enfers. On descend dans le royaumes des ombres par un ascenseur avec en auréole un nuage de pluie, transposant l’antique Léthé, le fleuve de l’oubli, en une douche qui fait perdre jusqu’au souvenir des visages et des mots. Le voisinage d’Hollywood et de l’industrie du divertissement se devine dans la production conçue par Mary Zimmerman, qui illustre avec une habile vitalité les accents fantaisistes d’un livret parfois dans la veine de Lewis Caroll et Alice aux pays des merveilles. Rehaussés par les lumières de T.J. Gerckens, les décors très colorés dessinés par Dan Ostling conjuguent humour et beauté plastique, tandis que les costumes d’Ana Kuzmanic habillent des personnages jouant avec les stéréotypes et les situations. Les chorégraphies réglées par Denis Jones complètent un spectacle enlevé qui tisse, dans une narration riche de péripéties et d’images, une exploration poétique autour de la mémoire et de l’oubli, à la fois ludique et inspirée.

Séduisante Eurydice de Daniele de Niese

Dans le rôle-titre, Daniele de Niese fait palpiter avec gourmandise des minauderies parfois cabotines, grâce à un babil charmeur, frais et fruité, où la ligne aérienne ne manque jamais de saveur. Le baryton Joshua Hopkins affirme les accents parfois lunaires d’Orphée, quand le contre-ténor John Holiday distille le séduisant écho éthéré du double d’Orphée. Rod Gilfry assume la vulnérabilité du père d’Eurydice, contrastant avec l’aplomb narquois du Hadès campé par Barry Banks. Stacey Tappan, Raehann Bryce-Davis et Kevin Ray forment le pittoresque trio des trois pierres, tandis que les interventions des solistes choraux reviennent à April Amante, Christina Borgioli et Erin Alford. Dans la fosse, Matthew Aucoin met en avant la fluidité mélodique et rythmique d’une écriture indéniablement expressive qui synthétise Adams et Glass avec les ressources cinématographiques, et fait respirer des couleurs orchestrales évocatrices.

Cette création mondiale, commande conjointe du Los Angeles Opera et du Metropolitan Opera, est accompagnée par une programmation de rencontres après la plupart des représentations – le jeudi 20 février, avec des neurologistes et le compositeur – ainsi que deux installations dans le Dorothy Chandler Pavillon : le prisme sonore et visuel de Lumee’s dream, inspiré par l’opéra d’Ellen Reid et Roxie Perkin créé l’an dernier, prism, et une escale fashion autour d’Eurydice, avec le Fashion Institute of Design and Merchandising. En somme une sorte de mini-festival pluridisciplinaire autour d’une nouvelle œuvre lyrique, qui, selon les habitudes outre-Atlantique, ne s’embarrasse guère de l’opposition entre les cultures savantes et populaires, entre la création et le divertissement.

Par Gilles Charlassier

Eurydice, Matthew Aucoin, Los Angeles Opera, février 2020

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