31 janvier 2018
Rossini en version originale à Palerme

Tapis rouge, gardes, fouilles aléatoires, décorations florales dans la salle, robes élégantes et costumes sombres : ce n’est pas la sacro-sainte ouverture de saison de la Scala le 7 décembre avec son gratin et ses prix stratosphériques, mais celle du Teatro Massimo de Palerme, mondaine peut-être, mais pas inabordable pour le commun des mélomanes – même si des attentions particulières sont réservées aux happy few. Avec un événement de taille, s’inscrivant dans les célébrations du cent-cinquantième anniversaire de la mort de Rossini, la première en Sicile de la version originale e son dernier opéra Guillaume Tell, qui, jusqu’à récemment était davantage donné dans sa traduction italienne, alors que l’ouvrage avait été conçu en français pour l’Opéra de Paris – lequel l’a mis à l’affiche de Bastille en 2003, sans reprises ultérieures.

Scandale de bon aloi

Et c’est dans une production de Damiano Michieletto qui avait fait scandale en 2015 à Londres, à cause d’une scène de viol lors de la fête sur la place d’Altorf. Il semblerait que le metteur en scène ait amendé son travail après la première britannique, rendant moins explicite l’abus sexuel. Justement, cette séquence jure-t-elle tellement avec le livret, qui parle bien de soldats forçant des femmes suisses à danser avec eux, si ce n’est davantage ? Au demeurant, elle n’a pas besoin de crudité inutile pour narrer le drame de cette jeune femme choisie au hasard de la foule, que les militaires prennent pour un gibier. Enivrée de force, on lui verse des bouteilles d’alcool sur le corps, on la place trempée du désir des hommes sur la table en guise de trophée, au rythme de coudes égrillards, et elle finit dénudée, ne trouvant qu’un drap pour s’enfuir dans sa honte et sa pudeur. Sans doute cette focale sur une victime unique accentue-t-elle l’effet, son expressivité, au point de heurter certaines hypocrisies sensibles.
Car au fond, le spectacle de Michieletto, d’une modernité de bon aloi, ne cherche guère l’iconoclasme, et s’ouvre sur une veillée familiale à la table de Guillaume Tell. Des bulles de bande dessinée en projection vidéographique narre l’histoire de l’aliénation des Helvètes que Jemmy, le fils, veut connaître, finissant par provoquer l’ire de son père. Le procédé reviendra au moment de la traversée du lac, sous la tempête. On retrouve la complicité du scénographe attiré du metteur en scène italien, Paolo Fantin, lequel dessine un décor sobre dominé par un arbre déraciné qui tournera au gré des tableaux et symbolise, de manière prévisible mais pertinente, la soif de patrie du peuple soumis – thématique par ailleurs nouvelle alors en 1829, et qui accompagne le réveil des nationalismes, lequel initie également à l’opéra des topiques différentes de l’esthétique jusqu’alors pratiquée par Rossini. Réglées par Alessandro Carletti, les lumières façonnent des ensembles expressifs et nourrissent une conclusion irradiante où passe un évident frisson d’émotion. Quant aux costumes quasi atemporels de Carla Teti, ils accompagnent une direction d’acteurs efficace.

Double distribution

Enfant du pays – quoique de la façade orientale de l’île, à Ragusa – Enea Scala ne pouvait manquer la première, où il reprend le rôle du pêcheur Ruodi, presque taillé sur mesure et assuré ensuite par l’honnête Pietro Adaini, avant d’endosser, pour les deux représentations de la seconde distribution, l’habit plus héroïque d’Arnold. S’il s’attache à restituer la richesse vocale du personnage, sa vaillance ne peut cependant oublier tout à fait l’effort, quitte à faire ressortir des harmoniques plus métalliques que Dmitry Korchak, dont le timbre brillant s’est étoffé avec les ans, et favorise l’aisance du lyrisme. En Guillaume Tell, Roberto Frontali affirme la pâte paternelle attendue, même si l’on pourrait espérer une rondeur dans la ligne que ne donnera pas davantage Davide Damiani. Le plus fort contraste s’entend entre les deux Mathilde de la série : Nino Machaidze peut prétendre à une opulence de couleurs, sa diction ignore la précision que Salome Jicia, plus fragile ça et là, mais aussi plus touchante, s’attache à restituer, assez honorablement.
Le reste du plateau, sans alternatives, ne démérite pas. Emanuele Cordaro fait valoir un solide Melcthal, quand Marco Spotti ne néglige pas Walter. Anna Maria Sarra séduit par la vitalité de son Jemmy juvénile. Luca Tittoto résume, sans la caricaturer inutilement, la brutalité de Gesler, que partage Rodolphe, assumé par Matteo Mezzaro. Enkelejda Shkoza ne manque pas d’à-propos en Hedwige, On mentionnera les apparitions du Leuthold de Paolo Orecchia, et du chausseur par Cosimo Diano. Préparés par Piero Monti, les choeurs se révèlent généreusement sollicités et privilégient la présence, tandis que la direction de Gabriele Ferro favorise l’énergie dramatique de la partition. A défaut de restituer les subtilités de l’ultime partition de Rossini, l’essentiel est là.

Par Gilles Charlassier

Guillaume Tell, Rossini, Teatro Massimo, Palerme, janvier 2018

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