22 mars 2013
Le défi Janacek


Avignon est d’abord connu comme une maison d’opéra italien et français, et lorsqu’elle s’aventure en dehors des sentiers battus, le public montre quelque réticence. Pourtant, après un Wozzeck version de chambre en janvier qui a ensuite tourné en France, la prise de risque de la programmation mérite plus que le détour, avec cette fois Jenufa de Janacek. D’autant que l’œuvre, créée en 1904 à Brno, la ville natale du compositeur, constitue,  avec sa générosité lyrique héritée du romantisme, une porte d’entrée très accessible à l’expressivité lapidaire du compositeur tchèque, dont Katia Kabanova constitue sans doute l’archétype.
Mais dès Jenufa, inspiré de la pièce  de Gabriela Preissova, sa belle–fille, l’on entre dans ce monde clos où le regard de la communauté enferme la femme comme dans un piège. Janacek a nourri tout au long de sa production lyrique une profonde compassion pour la souffrance féminine et son impossible désir de liberté. Alors qu’elle est promise à Steva, Laca, le frère jaloux, lui déchire la joue avec son couteau. Défigurée, son fiancé l’abandonnera pour la fille du maire. Mais un enfant est né de leur union charnelle, et Kostelnicka, la mère de Jenufa, le fera mourir de froid pour sauver son honneur et celui de la famille. Ne restera alors plus que la consolation de Laca.

Un opéra intense et émouvant

Pour présenter cette histoire sombre et bouleversante, l’Opéra d’Avignon a choisi une valeur sûre en la mise en scène de Friedrich Meyer-Oertel, qui tourne en France depuis maintenant une quinzaine d’années. Avec son toit modulable, qui s’abaisse pour créer une atmosphère intimiste et oppressante à la fois au deuxième acte, véritable climax de la soirée, la scénographie plante le décor de manière sobre et efficace, et sert d’écrin à une direction d’acteurs qui, à la sophistication, préfère la sincérité.
C’est d’ailleurs cette qualité qui séduit chez des chanteurs, qui, pour la plupart, sont en prise de rôle – une véritable gageure dans une telle œuvre. On retiendra, outre l’émouvante Christina Carvin dans le rôle-titre, le vigoureux Steva de Florian Laconi, qui d’ailleurs s’intéresse également au personnage de Laca, et se confirme comme l’une des valeurs de la nouvelle génération. Enfin, après un premier acte où il semble encore apprivoiser la partition, l’orchestre lyrique Région Avignon-Provence s’épanouit sous la direction fiévreuse de Balazs Kocsar, avec un deuxième acte intense, jusqu’au final du dernier, apothéose lumineuse quasi brucknérienne. Les amateurs qui applaudissant chaleureusement, ne s’y sont pas trompés. C’est bien connu, seuls les absents ont tort.

GC
Jenufa, Opéra d’Avignon,  mars 2013

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