1 février 2012
Les princesses des quartiers Nord

1558, à la cour du roi Henri II, la princesse de Clèves se démène dans les tourments d’un amour interdit et des contraintes familiales. Autre époque, autre cour. Celle d’un lycée ZEP des quartiers Nord de Marseille où finalement la vie n’est pas si éloignée de l’époque des intrigues et où les questions existentielles restent les mêmes. A travers la voix de quelques lycéens, le réalisateur Régis Sauder met en scène dans « Nous, Princesse de Clèves », des élèves récitant –avec une justesse étonnante- les écrits de Madame de La Fayette. La prose archaïque du texte datant du XVIIe siècle se mêle agilement au plus contemporain « voilà quoi » rythmant généralement chaque fin de phrase de ces jeunes –dont la majeure partie est issue de l’immigration. Le tableau est beau. Les lycéens se réapproprient les mots, l’histoire de la demoiselle de Chartres et s’identifient aux personnages d’un autre temps qu’ils n’auraient jamais pu connaître en dehors des murs de l’école. En reste un témoignage corrosif d’une jeunesse qui regrette d’être traitée différemment parce qu’issue d’un milieu ZEP. « Les textes faciles pour les gens comme nous, je déteste ça. On a tous un cerveau et on peut tous s’en servir ». Quelque peu lent au démarrage, le film s’étoffe et gagne en épaisseur au fur et à mesure que les jeunes se dévoilent avec sincérité – et surtout une lucidité frappante, lors de confidences concernant le carcan familial, leur avenir professionnel et personnel. Le montage apporte également une consistance au scénario, limité à l’apprentissage du texte et aux secrets d’adolescents tourmentés. Loin du dernier documentaire « Entre les murs » -dressant le portrait d’une classe difficile, ce docu-film apporte une touche de poésie et d’élégance dans un lieu plutôt connu pour la violence ou les règlements de comptes  entre gangs. Evitant les clichés, il montre l’ardeur des élèves aspirant à s’ouvrir au monde – la visite de la classe au Louvre reste un exemple de leur soif d’ouverture- alors que leurs parents « n’osent pas aller au cinéma ou au théâtre ».Les plans serrés sur les visages nous rapprochent de ces élèves, nous confronte de plein fouet à leurs problèmes comme à leurs rêves en leur apportant une dimension émouvante et touchante. Chaque élève, noir, métisse, blanc, de confession musulmane ou chrétienne a finalement les mêmes difficultés intemporelles à rester maître de son destin. Sarah, Manel, Cadiatou ou Anaïs …Toutes sont des « princesse de Clèves ».

                                                                                                                                                                                                                                                                         Par Sarah Vernhes

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