Il y a toujours un soupçon qui plane au-dessus des albums d’inédits qui compilent les rebuts d’un artiste et les présentent comme des chefs-d’œuvre injustement oubliés… C’est pourquoi les promoteurs de ce Paradis Retrouvé ont choisi de laisser la parole à l’auteur, afin qu’il justifie lui-même l’intérêt de publier ces chansons, près de quarante ans après leur création. Christophe n’est pourtant pas un homme particulièrement loquace, sa voix se perd souvent au cours de son débit expéditif et laconique, mais dans la vidéo de présentation qui annonce la sortie de ce CD – on appelle cela un EPK et c’est la grande mode du marketing musical – il se prête au jeu du « track by track » pour expliquer le contexte dans lequel ces anciens morceaux ont vu le jour. Conçu en forme d’hommage à Francis Dreyfus, fondateur des Disques Motors dont Christophe fut le premier représentant, ce Paradis Retrouvé rassemble treize titres enregistrés durant la décennie 1972-1982, période d’intense créativité pour le chanteur des Mots Bleus, et fait écho à l’album culte de 1973, Les Paradis Perdus. Décédé en 2010, le producteur/découvreur de talents n’aura pas vu la sortie de ce disque qu’il avait réclamé à son historique protégé et c’est suite à cette disparition que celui-ci a finalement accepté de ressortir de ses archives ces vieilles bandes d’enregistrement qui attendaient patiemment qu’on leur prête une oreille curieuse. On peut se réjouir de cette décision car le résultat est séduisant et d’une surprenante modernité, qui ne dénote pas avec l’ensemble de l’œuvre du Beau Bizarre.
« Ça démarre toujours comme ça : un son de synthé, une boîte à rythme, un gimmick… »
Ce disque a été pensé autour de trois pôles : dans un premier temps, c’est évident, il est comme de nombreux autres recueils d’inédits que produisent les artistes en fin de carrière et en panne d’inspiration – même si ce n’est pas le cas en l’occurrence – un objet commercial à destination des fans, puis c’est l’occasion d’entendre la dimension expérimentale du travail en studio de celui qui criait Aline pour qu’elle revienne ; enfin, il est présenté comme un « témoignage sonore des années 70 et 80 ». Sur ces trois points, Paradis Retrouvé étonne par sa cohérence et sa réussite. D’abord, parce que certaines chansons sont d’une efficacité mélodique digne des plus grands tubes du chanteur. On en vient à se demander ce qui avait pu conduire Christophe à écarter de son répertoire des titres comme Night Welcome ou Take it tant leurs refrains font mouche et hantent les esprits comme toute bonne pop music en a le devoir ! D’autre part, la dimension expérimentale, présente dans le choix de certaines instrumentations, dans les petits « parasites » sonores qui apparaissent parfois au début et à la fin des chansons et aussi dans quelques choix esthétiques – comme sur L’italiano où le musicien s’amuse à imiter, jusqu’à la parodie, le chant emphatique des crooners italiens – montre l’immense créativité d’un artiste majeur et marginal. Enfin, en ce qui concerne le côté « témoignage » de cette compilation, il passe quasiment inaperçu au sein du revival qui anime actuellement de nombreuses productions musicales, où les synthétiseurs vintage que testaient Christophe à l’époque sont devenus les stars des scènes alternatives. C’est au final un disque qui ne trahit pas l’œuvre du chanteur aux lunettes teintées de mauve, mais au contraire l’enrichit, l’éclaire d’un nouveau jour, sans nostalgie ni complaisance. D’ailleurs, la sortie de Paradis Retrouvé accompagne une réédition de sa discographie chez Motors, l’occasion de juger les choix d’une production qui décide de la couleur de la bande-son d’une époque en mettant de côté des œuvres qui feront peut-être celle du futur.
Par Romain Breton
Paradis Retrouvé, par Christophe, sortie le 11 mars 2013, chez Motors/BMG.