Les Américains ne découvriront « Intouchables” que l’été prochain, mais, d’ores et déjà, on peut lire dans la presse française que le film d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache est taxé de racisme outre-Atlantique. En fait, très peu de critiques américains ont vu l’histoire de Philippe, l’aristocrate tétraplégique joué par François Cluzet, et de Driss, interprété par Omar Sy, son aide à domicile issu des quartiers difficiles de la banlieue. Et une seule voix a parlé d’un film “offensant” et “raciste”: c’est celle de Jay Weissberg, du magazine new-yorkais de cinéma « Variety ». Fin septembre – donc avant l’énorme succès en France -, lors de la Première mondiale d’”Intouchables” au Festival du film de San Sebastian, le journaliste dénonçait avec vigueur une comédie “digne de la Case de l’Oncle Tom” dans laquel Omar Sy n’est traité qu’en “singe savant”. “C’est pénible de voir un acteur jovial et charismatique dans un rôle tout juste sorti du cliché de l’esclave d’autrefois, qui amuse son maître en endossant tous les stéréotypes de classe et de race”, écrivait alors Weissberg. Le gentil Noir qui, une fois bien habillé, est associé à Barack Obama, “comme si le seul Noir en costume ne pouvait être que le Président”, soupirait le critique américain. Le journaliste Neil Young du “Hollywood Reporter”, également présent à San Sebastian, a lui parlé de film « tarte à la crème et commercial »-critique plutôt amusante quand on pense qu’elle vient d’Hollywood! à croire que l’hôpital se moque de la charité ( ce qui en anglais se traduit comment? ) -, mais aussi de génial « buddy movie », que l’on pourrait traduire par film d’amitié virile, film de « potes », un classique dans la culture populaire cinématographique américaine. Enfin, il y a quelques jours, c’était au tour de la correspondante du “New York Times” à Paris, Maïa de la Baume, de s’étonner de l’engouement du public français. “Quand il est sorti le mois dernier, « Intouchables » semblait n’être qu’une comédie française banale et gentillette, un film à petit budget avec des acteurs peu connus hors de France (…) mais en seulement quatre semaines, le film a attiré presque 17% de la population française”. Maïa de la Baume n’a pas critiqué ouvertement le film, elle n’a fait que relayer les différentes réactions en France et aux États-Unis. Toutefois, en concluant par le commentaire acerbe de “Variety”, on peut en déduire qu’elle n’a pas été séduite…
Faut-il en conclure que « Intouchables » ne peut pas marcher aux États-Unis? Pour le réalisateur Eric Lavaine que j’ai rencontré lors de sa venue à New York début décembre pour présenter son dernier film, “Bienvenue à bord”, au Festival In French with English Subtitles, les comédies françaises ne sont, de toute façon, pas exportables. Sans hésitation, il affirme ne pas croire au succès de sa comédie auprès du public américain. “L’humour est toujours à base de référents culturels. Les Américains ont réussi à imposer leur culture partout, à imposer leurs productions et ça fonctionne. L’humour américain est donc – un peu – universel. Ce qui n’est pas du tout le cas de l’humour français.” Voilà qui était vrai pour une autre comédie géniale, cette fois à la TV -« Fais pas ci, fais pas ça » (voir article). Il est ainsi certainement difficile pour les Américains de saisir ce que représente le personnage de Cluzet dans « Intouchables », cette vieille France endormie sur ses privilèges et pourtant s’inspirant de l’histoire vraie de Pozzo , réveillée par la jeunesse issue de l’immigration, en l’occurence africaine. Rien à voir avec les traditionnelles comédies américaines basées sur les duos d’acteurs Blancs et Noirs, l’Afro-Américain dans le rôle du flambeur, drôle et tendre – « Un Fauteuil pour Deux » avec Eddie Murphy, « Hitch » avec Will Smith… La Weinstein Company, qui peut se féliciter d’avoir misé sur « The Artist », pourrait donc avoir plus de mal avec « Intouchables » dont elle a acheté les droits. Un remake est d’ailleurs prévu. “Il faudra un énorme travail de réécriture pour rendre acceptable cette pénible comédie” estimait encore le critique de Variety. On peut craindre le pire, après les piteuses adaptations de « Trois hommes et un couffin » ou encore du « Dîner de Con »… En attendant, « Intouchables » en version originale sera projeté cet été aux États-Unis. Gageons qu’avec les 12 millions d’entrées en France et les prix récoltés au passage – déjà deux au Festival international du film de Tokyo – le film peut se passer des satisfecits des critiques -a fortiori américains- et séduira, sinon le public américain, au moins celui de New York, même si pour une fois, il ne sera pas à ranger dans la catégorie film d’auteur. N’en déplaise aux journalistes qui adorent, même outre Atlantique, ranger dans des boites et répugnent à en sortir…