27 novembre 2021
La ville rose pour un opéra noir

Les voix, magnifiques, s’élèvent au diapason de l’Orchestre du Capitole, servis par l’ acoustique enivrante de cette salle que bien des parisiens pourraient envier. Avec une programmation digne des capitales mondiales, l’Opéra du Capitole à Toulouse associe, pour cette nouvelle production de Wocceck d’Alan Berg, un plateau de rêve avec Stéphane Degout dans le rôle titre et Sophie Koch dans une « Marie couche toi là » bien plus victime et repentante qu’il n’y parait, dans la mise en scène de Michel Fau, regorgeant de trouvailles effrayantes (un immense lièvre gonflant qui se déplie, faisant penser à une mygale) ou ludiques comme un squelette dansant. Ainsi, la femme de Wocceck est-elle résignée dans ce qui ressemble passablement à un viol lorsque le personnage du Tambour Major la trousse sans ménagement; cela, devant le jeune fils qu’elle a eu avec Wozzeck. Présent à chaque scène, Michel Fau fait de cet enfant du « pêché » une autre victime, oscillant entre la peur et la folie face à ce trio dont il ne peut saisir les dysfonctionnements aussi cruels que pervers. 

Un opéra aux résonances toujours aussi modernes

Pour celui qui découvre cet opéra, le sentiment que tout cela ne peut bien finir s’impose vite, au fil des notes aux accès stridents, appuyées par la voix de Marie/ Sophie Koch, pécheresse devant Dieu. Et accessoirement devant les hommes, victime de leur bassesse et leur égocentrisme comme lorsque le Capitaine- remarquable Wolfgang Ablinger-Sperrhacke- clame que « l’individualité conduit à la liberté ». Voilà qui résonne étrangement avec les temps présents, à l’image de Toulouse qui, malgré la place du Capitole défigurée par d’immondes cabines en plastique blanc d’un sans doute lucratif Marché de Noël (pas vraiment traditionnel du Sud ouest) ou encore certains bâtiments historiques vérolés par des marques de vêtements, offre un centre ville digne d’un décor de cinéma. Rajoutez la dimension humaine, des églises dans cette ville romane à foison ou encore des bars qui, ce soir de pluie, font le plein d’ étudiants comme Chez Tonton, bien connu pour son « pastis ô mètre », la ville rose achève de séduire. Tandis que la Basilique de Saint Sernin, plus grande église romane d’Europe résonne au son de l’organiste qui répète la messe exceptionnelle du 29 novembre en l’honneur de  Saint Saturnin/ Saint Sernin dont le tombeau sera exceptionnellement ouvert, la Garonne coule, impassible, avec l’Hôtel Dieu éclairé se reflétant dans ses eaux endormies. Le Pont Neuf se dessine lui aussi, de tous ses feux dans l’obscurité, reliant les deux rives; non loin, l’église de la Daurade, le couvent des Jacobins, le Musée des Augustins, les toulousains en perdent parfois leur « romain » à qui demande sa route mais qu’importe, il faut se perdre dans cette ville, se laisser porter par elle, loin de Paris, la puissante ou plus proche, Bordeaux, la suffisante, au passé bien sombre où les « Wozzeck », « hommes pauvres (…) donc sans vertu » ont dû, comme bien d’esclaves, maudire leur sort. 

Par Laetitia Monsacré

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