27 décembre 2012
Donne la papatte

Si vous l’avez raté en janvier, rattrapez-vous en achetant ce formidable documentaire sur l’état du journalisme aujourd’hui. Première image, en noir et blanc. Nous sommes le 20 avril 1963 aux alentours de 20 heures. Alain Peyrefitte, ministre de l’information, donne le coup d’envoi de la nouvelle formule du JT de la première chaîne, mise au point par… lui-même. Face à lui, le présentateur Léon Zitrone dans le rôle du figurant, écoute son ministre lui dicter la nouvelle orientation que prendra son journal. Cinquante ans après, où en est le journalisme français ? Il est complètement indépendant du pouvoir bien sûr, s’amusent dans  Les Nouveaux Chiens de Garde, Gilles Balbastre et Yannick Kergoat.

Allégeance parfaite

Adapté du livre de Serge Halimi du même nom publié en 1997 et complété en 2005, lui-même inspiré de l’œuvre de Paul Nizan datant de 1932, Les Chiens de garde, le film examine le système médiatique français et prouve avec humour et sarcasme, que le journalisme français est loin de reposer sur les trois fameux piliers : indépendance, objectivité et pluralisme.

Certes le ministre de l’information a disparu et le nombre de chaînes de télévision s’est multiplié, mais l’influence exercée sur les journalistes est toujours là. Elle a simplement pris une autre forme : moins visible, moins connue et bien trop minimisée explique le film. En épluchant les parcours des Claire Chazal, Laurent Joffrin et autres « journalistes vedettes », l’équipe du film se demande comment ceux qui décryptent et relaient l’information peuvent se prétendre objectifs et indépendants, alors qu’ils ont grandi dans les mêmes quartiers que les élites politiques et économiques, qu’ils ont été éduqués dans les même grandes écoles, qu’ils fréquentent les mêmes soirées et sont parfois amis ? Réponse : ils sont une seule et même famille, un peu comme si le grand frère avait choisi de faire politique, la deuxième économie et le troisième du  journalisme…

Des ménages aux conférences

L’un après l’autre les cas de Christine Ockrent, Laurent Joffrin, Claire Chazal, Nicolas Demorand, Michel Field sont passés au crible. Pas d’approximation, pas de paroles non fondées, les principaux concernés, désignés coupables de conflits d’intérêts, sont clairement identifiés. Le cas Isabelle Giordano est particulièrement marquant. On apprend que la journaliste fait  « des ménages » pour de grandes entreprises, c’est-à-dire qu’elle est rémunérée par de grands groupes pour animer des conférences, invitant ensuite sur son plateau celui qui comme la Sofinco, vient de la rémunérer tandis que l’on entend en fond sonore, un des slogan de France Inter de la rentrée 2008 passer en boucle : « la différence c’est l’indépendance ».

Les « experts » invités à débattre de l’actualité sur les plateaux de télévision ne sont pas épargnés. Là encore, ils sont nommés : Jacques Attali, Alain Minc, Michel Godet, Elie Cohen, une petite poignée « d’intellectuels » qui sont non seulement chercheurs, mais aussi administrateurs pour de grandes entreprises françaises. Le documentaire se demande, avec pertinence, s’il ne serait pas nécessaire d’informer les téléspectateurs ou lecteurs de cette autre casquette, clairement susceptible d’influencer leur analyse. Puisque l’objectivité n’existe pas, il faut s’efforcer d’être transparent.

Droit de censure

Sur la forme, le film est efficace, drôle et dynamique; le montage, les nombreuses animations et les bruitages de cartoons donnent de la légèreté aux situations parfois aberrantes, comme la « journée sans le groupe Lagardère », une séquence rigolote qui dénonce l’omniprésence des grands groupes dans le secteur de la presse. On rit jaune. Ou ce passage qui tourne en ridicule Jacques Julliard et Luc Ferry sur LCI, deux experts censés être opposés sur l’échiquier politique s’excusant d’être d’accord sur un grand nombre de sujets. Et comme l’on donne la parole toujours aux mêmes c’est-à-dire aux plus indulgents…capables comme Alain Minc de prétendre que la crise de 2008 a montré la formidable élasticité du système bancaire!

Autre pépite, Franz-Olivier Giesbert qui dit être d’accord que son patron puisse le censurer vu que c’est lui le propriétaire: « le capital a le pouvoir, il est normal qu’il l’exerce. » Nous voilà donc bien défendus par ces chiens de garde qui à l’image de ceux de Nizan ne sont même plus conscients de leur allégeance à leur actionnaire comme lorsque sur les défauts de construction à la centrale nucléaire de Flamanville, le groupe Bouygues, responsable, n’aura pas un seul reportage en faisant état dans ses journaux sur TF1-une télé de maçon, une télé de m…comme disait l’autre…

AW

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