Avec Internet est venu le temps d’une dilution de l’information sans précédent. Combien de millions d’opinions, d’articles publiés en pompant sur un site voisin-cela dans l’idée-fausse- que l’information sur le net est gratuite? Lorsque le Washington Post fait son meilleur score de clics avec un quizz ou le New York Times, avec un module permettant d’avoir son nom savonné par John Travolta (cf la cérémonie des Oscars), voilà qui confirme que sur Internet, « Grumpy Cat » -ces photos ou vidéos de chats, championnes toutes catégories en nombre de vues- l’ont définitivement emporté sur le fond.
Quant aux réseaux sociaux, tout le monde peut aujourd’hui s’improviser journaliste comme en Malaisie, où des millions de tweets ont relayé des rumeurs annonçant que l’avion disparu avait atterri sur une base, l’un des tweeteurs étant, à ses dires, carrément dans la tour de contrôle… Alors une question: Combien de pouces en l’air Emile Zola aurait-il recueilli s’il écrivait son « J’accuse » aujourd’hui? Combien d’antisémites, de « haters » lui écrirait des menaces de mort ou le traiterait de « sale juif » ou cliqueraient sur « déconseiller », comme cela est possible sur Médiapart où Jim est allé faire un petit tour…(voir lien) Et quelles chances aurait-il de faire le buzz dans l’océan de vacuité qui constitue la quasi totalité de la toile? Il devrait en tous cas titrer « les 10 bonnes raisons pour ne pas condamner le capitaine Dreyfuss » afin que le moteur Google lui donne une chance d’arriver en tête de liste.
Crise des idées
Choisirait-il alors le papier? Mon kiosquier se désespère de ses ventes qui n’ont jamais été aussi faibles. L’auteur de Germinal devrait de plus trousser son article de façon à ce que Serge Dassault (Le Figaro qui avait refusé, au départ de publier, le J’accuse de Zola), Bergé/Niel/Pigasse (Le Monde, Le Nouvel Obs), le groupe Lagardère ou Amaury- quatre groupes détenant quasi l’ensemble de la presse française- y trouvent leur intérêt, c’est à dire celui de leurs annonceurs. Ce n’est, en effet, pas en achetant quasiment deux euros votre quotidien ou en vous abonnant ( chaque nouvel abonné fait perdre de l’argent à un magazine entre les tablettes et autres cadeaux offerts, prouvant que le journal, en lui-même, n’ a plus aucune valeur) que vous donnez les moyens à ces titres de vous informer librement.
La situation semble être dans une telle impasse que des écoles de journalismes ferment aujourd’hui, au motif de ne pas vouloir former des « futurs chômeurs ». Alors, ceux en place s’accrochent, donnent ce que l’on attend d’eux tandis que, en un tour de main, le pigiste a été remplacé par tous ces gentils contributeurs qui travaillent pour la gloire; le plaisir d’avoir son nom publié; payée sous trois mois, selon la règle que plus le titre est diffusé, moins la pige est élevée.
Voilà comment on est passé d’un métier noble auquel la révolution Internet a coupé la tête. Et qui, au nom de « chaque voix compte »a donné, via le système des commentaires, un ramassis de brèves de comptoir, « tiens, moi par exemple! ».
Mais, aussi donné des ailes, comme tous ces petits médias alternatifs qui sont nés grâce à la toile, loin des rotatives du XIXème siècle et des bibliothèques physiques.