L’archipel d’Hawaï ne se résume pas à ses plages de sable fin et sa mer azur bercée d’alizés, et Honolulu à Waikiki et ses planches de surf. La capitale du cinquantième des Etats-Unis, qui a rejoint l’union fédérale en 1959, est aussi une étape pour la culture polynésienne aussi bien que l’ « occidentale », comme pour l’art lyrique, représenté par le Hawaï Opera Theater, lequel possède ses quartiers depuis quatre décennies dans le Neal Blaisdell Center, et son auditorium de plus de deux mille places. Avec trois à quatre titres à l’affiche chaque saison, la compagnie hawaïenne mêle grands classiques et ouvrages plus rares, à l’exemple de l’exercice 2015-2016, qui s’achève sur le Trouvère de Verdi, après le Songe d’une nuit d’été de Britten, discret même sur les scènes européennes en cette année de commémoration Shakespeare.
Un Trouvère en technicolor
Confiée à Paul Peers, la production assume habilement la tradition, qu’elle fait vibrer avec une palette vive – le rouge flamboyant de la forgerie gitane contrastant par exemple avec le bleu nocturne du Comte de la Lune. Ce théâtre efficace, doué d’un sens évident du spectacle, n’évite pas toujours certaines minauderies d’acteurs, à l’image du duo en Leonora et Ines, sans doute au diapason d’un jeu privilégiant l’expressivité explicite, favorable au plaisir immédiat du public, ce qui ne contrarie guère un drame façonné par l’éclat héroïque plus que par le raffinement psychologique.
Le plateau vocal n’économise aucunement sa vitalité. En Manrico, Carl Tanner démontre une passion sanguine, un rien frustre, jusque dans le contre-ut attendu. Egalement novice sur les planches hawaïennes, Michelle Johnson lui donne une réplique fébrile en Leonora, que magnifie son soprano ample et coloré. Michael Chioldi condense toute la puissance vindicative du Comte di Luna, et témoigne d’un savoir-faire éprouvé dans l’incarnation du stéréotype du rival jaloux. Le reste de la distribution mêle figures nouvelles – le Ferrando rustique de Brandon Coleman – et habituées – telle Victoria Livengood, Azucena à la présence excédant les moyens. Sans oublier de saluer les choeurs, préparés conjointement par Beebe Freitas et Nola Nahulu, on retiendra la baguette souple d’Emmanuel Plasson – fils du légendaire Michel Plasson, celui-ci mène une partie significative de sa carrière outre-Atlantique. Soucieux de mettre en valeur les pupitres, comme d’accompagner les solistes avec sensibilité, le chef français fait ainsi respirer l’incontournable nervosité dramatique de la partition.
Rigoletto version concert
Un mois plus tard, fin juin, l’Opéra d’Honolulu referme sa saison avec un autre volet de ce qui est communément appelé la « trilogie populaire » de Verdi, Rigoletto, inaugurant par là-même le format de concert, jusqu’alors inusité pour le répertoire lyrique sur les bords du Pacifique. En ce dimanche après-midi, où même le directeur des lieux relaient le box office pour distribuer les réservations, afin de limiter le retard, l’assistance revêt une certaine touche d’élégance, peut-être pour rehausser l’événement, où les mélomanes insulaires reconnaîtront l’un des leurs dans le rôle-titre, lequel avait d’ailleurs débuté dans les choeurs de la maison, il y a vingt-cinq ans. Quinn Kelsey endosse l’habit du bouffon et l’anime de sa voix large et charnue, d’une admirable constance. A l’instar de partenaires au jeu direct, sinon un peu appuyé, le baryton hawaïen se concentre sur les ressources émotionnelles de son personnage de père angoissé avec sa fille pour seule famille. La Gilda de Nadine Sierra rayonne par son timbre fruité et juvénile, palpitant d’innocence et de séduction. Difficile à confondre avec l’étudiant Gualtier Maldè qu’ils se prétend être, le Duc de Mantoue de Barry Banks insiste surtout sur le métier consommé de libertinage. Si John Mount limite Monterone à l’imprécation menaçante, on entend dans le solide Sparafucile de Matthew Treviño de prometteuses potentialités. Le reste du plateau, comme les choeurs, assument leur office, que ne contrarie pas la direction de Hal France, attentive à l’essentiel, signe que, résolument, Verdi sait aussi chanter sous les tropiques.
Par Gilles Charlassier
Il Trovatore, Rigoletto, Opéra de Hawaï, Honolulu, mai-juin 2016