Entre Nabucco, le premier grand succès, et les trois grandes têtes d’affiche du répertoire que sont
Rigoletto, Le Trouvère et La Traviata, Verdi a laissé une dizaine d’opéras plus ou moins rares sur les
scènes, à l’exception sans doute du chef-d’oeuvre Macbeth. Inspiré par une pièce de Schiller,
Intrigue et amour, Luisa Miller, comme plus tard La Traviata, délaisse les grandes fresques épiques
pour les ressorts du drame bourgeois, ici les amours contrariées de l’héroïne avec Rodolfo, le fils du
comte Walter, sur fond de conflits entre milieux sociaux différents et machinations familiales. Peu
soucieuse d’arrière-plan politique et réaliste, c’est sur la puissance des émotions que s’appuie une
écriture musicale amplifiant les sentiments. Ainsi, la nouvelle coproduction que l’Opéra de Rennes
et Angers Nantes Opéra ont confié, avec le Theater Erfurt où elle a été créée en mai-juin 2022, à
Guy Montavon se concentre-t-elle sur les personnages, qu’elle inscrit sur un écrin scénographique
décanté conçu par Eric Chevalier, ponctué de panneaux de portes, symboles des complots et de
secrets arrimés à leurs gonds. Toute l’attention est alors concentrée sur des visages dont le
maquillage rehausse l’expression, dans une théâtralité excédant les mesures naturalistes, au risque
d’une certaine facture traditionnelle qui ne contredit pas pour autant le génie propre de la musique.
La vigueur des sentiments
Sous des lumières légèrement pastel, le fond scénique porte les incarnations puissantes réunies sur
le plateau. Dans le rôle-titre, Marta Torbidoni fait valoir une intensité et une sincérité qui ne laisse
pas indifférent, jusque dans le sacrifice final dont les ressorts sont mis en évidence avec une
lisibilité naturelle, au diapason du premier degré de l’ensemble du spectacle. En Rodolfo, Gianluca
Terranova lui donne la réplique avec un égal engagement. Il n’économise pas son lyrisme, qu’il
n’hésite pas à révéler dans une entièreté sans calcul, sans négliger cependant la couleur vocale,
empreinte de la luminosité attendue. Les deux patriarches s’opposent en un évident contraste de
caractères, Federico Longhi affirmant une autorité bienveillance dans un timbre généreux, sans
sophistication, tandis que Cristian Saitta souligne la brutalité d’un comte Walter marqué par les ans
et les intrigues. Alessio Cacciamani assume toute la malveillance d’un Wurm torve et sournois à
souhait, où la vérité expressive s’appuie sur l’efficacité – plus que le raffinement – des moyens. Si
Marie-Bénédicte ne démérité aucunement dans les répliques d’une Laura un peu surette, Lucie
Roche ne cherche pas en Federica les séductions d’une duchesse nettement plus âgée que le parti qui
lui a été réservé. Préparés par Xavier Ribes, les choeurs d’Angers Nantes Opéra participent à la
vigueur brute d’une production accompagnée par la direction de Sacha Goetzel, parfaitement au fait
de l’énergique italianità de l’oeuvre de Verdi, où l’on pressent l’élan du Trouvère, et qui se détache
de la qualité des pupitres de l’Orchestre national des Pays de la Loire. Peu importe les subtilités et le
réalisme, seule compte l’ivresse du cœur.
Par Gilles Charlassier
Luisa Miller, Opéra de Rennes du 19 au 25 mars 2023 et à Nantes du 7 au 13 avril 2023.