Fatou Diome était au Salon du livre. Par respect pour ses lecteurs, « comme une danseuse vient faire sa révérence à la fin de la représentation ». Parce que sinon, elle est plutôt du genre sauvage comme elle le raconte dans son dernier livre Impossible de grandir aux éditions Flammarion. Un roman très autobiographique où elle se livre à une lutte incessante avec « la Petite » à l’occasion d’une invitation faite par une amie, Marie-Odile, à venir dîner chez elle « comme en famille ». Aller contre sa nature, laquelle est encore aujourd’hui prisonnière de ses souvenirs… Une enfance dure avec des tantes qui frappent, un tonton « tyran » et la difficile condition des petites filles en Afrique, a fortiori lorsqu’elles sont illégitimes. N’attendez pourtant pas chez Fatou Diome une longue plainte sur son passé; elle est bien trop joyeuse et maligne pour cela. Comme ce talent inouï pour l’écriture, l’humour lui est tombé dessus- sans doute pour lui offrir une distanciation salvatrice. L’honnêteté, aussi, qui lui a rendu impossible à mi-parcours de ne pas écrire à la première personne du singulier- « cela aurait manqué de courage, il faut assumer! » ce livre qui offre une magnifique suite au Ventre de l’Atlantique, pour lequel elle avait été encensée par la critique. Rajoutez enfin la générosité qui fait qu’une rencontre avec elle ressemble à un grand bain de soleil revigorant dans ce mois de mars encore si hivernal.
Malgré les multiples sollicitations pour des conférences à l’étranger, vous avez donc trouvé le temps d’écrire à nouveau un roman…
Mais j’écris tout le temps; même si ce n’est pas pour un roman, je vais écrire un poème, une chanson. J’ai d’ailleurs toujours deux textes en cours; lorsque je vois que le premier va bientôt se finir, je le « bloque » et j’en commence un autre pour pouvoir finir le premier sans avoir de nostalgie. C’est comme une longue navigation. On coupe un fil et on continue avec un autre. Je ne suis jamais sans inspiration; pour ne pas écrire, il faudrait que je sois parfaitement en paix. L’écriture est par ailleurs chez moi comme une musique; je me récite d’ailleurs beaucoup les phrases avant de les coucher sur le papier.
L’idée de ce dîner est venue comment?
Avec de vrais dîners qui m’ont empoisonné la vie! Cela me rend malade à chaque invitation avec cette idée que, plus j’apprécie les gens, plus c’est difficile d’y aller car j’ai envie d’y arriver. Alors je me mets la pression par peur de blesser celui qui m’invite. Le pire c’est lorsque celui-ci pense que c’est à cause de lui… Alors je me suis demandé quelles pouvaient être les raisons qui faisaient que je n’y arrivais pas.
Reste que ces dîners en ville sont généralement des pièges…
Surtout lorsque l’on est timide comme moi et que les gens vous ont vue, déchaînée dans les conférences, parlant très facilement; ils pensent que je vais leur faire le « show » toute la soirée, imaginez la déception! La conférence a ses codes, la foule est en face de moi, l’espace entre nous est un sas. En plus, je fais alors mon boulot; j’ai les astuces pour les faire rire, et j’ai une vraie facilité pour faire des sketches.
Cet humour que vous mettez en toutes choses…
Je suis mélancolique mais j’adore les mots d’esprit. En étant fascinée par la littérature du XVIII ème siècle, j’aime particulièrement la petite réflexion de biais. La « Petite » a dans mon livre et dans ma vie ce rôle-là; elle est plus libre, loin de l’adulte universitaire qui est dans la pédanterie la plus totale. Dans la littérature, ce qui me plaît, c’est le côté virevoltant, créatif, qui touche les tripes. Et ça, c’est la gamine qui l’a; je le sens presque physiquement devant mon ordinateur quand j’écris et que je commence à faire ma petite peste!
Il y a un très beau passage où vous dites pourquoi vous écrivez.
Oui ce sont ces choses-là qui me portent; l’écriture n’a pas un goût de « petits fours », c’est une nécessité vitale pour moi. J’ai commencé, j’avais treize ans. Et autour de moi il n’y avait que des analphabètes. Je ne sais pas d’où c’est venu. Si ça m’a sauvée? En tous les cas, ça m’a évité le cabinet de psy… A chaque livre, il y en a plein d’ailleurs qui m’écrivent pour me faire venir en consultation. Ils me voient comme un sujet d’étude! Mais ce sont les questions que je me pose qui me font écrire. Et puis avec la « Petite », je suis déjà bien analysée… Aujourd’hui, je fais des livres parce que je m’interroge. Cette réticence à aller chez les gens, j’ai compris que c’était sans doute lié à mes souvenirs d’avoir vu la « tricherie » dans le comportement des adultes qui m’entouraient. Par exemple, le mari de ma mère était très gentil avec moi devant les autres et puis en privé, il se déchaînait en me disant: » c’est quoi cette enfant du diable! ». La méfiance gâche tout, l’enfant battu reste à jamais un adulte méfiant.
Il y a beaucoup de violence dans votre livre à travers cette famille où vous étiez considérée comme illégitime…
Et encore, je n’ai pas tout mis. Les choses ont à peine changé d’ailleurs au Sénégal. Il y a encore des mères qui tuent leurs enfants nés hors mariage, surtout avec les maris qui sont à l’étranger.
Il y a pourtant les femmes africaines qui sont des vraies « chefs » avec un solide matriarcat qui prédomine.
Oui, il y a en Afrique des super women, qui font du business mais pour autant ont besoin d’avoir un mari qui généralement est entretenu par elles, un petit tyran qui, à la maison contrôle tout et prend même une seconde femme. Eh bien elles acceptent à cause du « qu’en dira-t’on? ». Elle semblent modernes mais, dans les faits, sont sous tutelle. Pareil pour les enfants illégitimes; ils sont souvent maltraités, loin de l’image de la fratrie généreuse que l’on se fait. Les mettre à l’école ou les soigner-avec l’idée que s’ils meurent, l’honneur est sauf- n’est la priorité de personne.
Comment se fait-il que vos grands-parents aient échappé à cela?
Leur histoire. Ma grand-mère a toujours été une femme généreuse, qui avait perdu sa mère à douze ans. Elle s’est occupée de ses petits frères comme une mère tandis que son père l’a idolâtrée. Elle a pris la place de ma mère et ils m’ont élevée comme si j’étais la petite dernière. Elle ne savait ni lire, ni écrire car sinon, elle aurait été l’écrivain de la famille. Je lui lisais tous mes manuscrits en lui traduisant en sérère.
Elle me raconte alors comment cette femme, morte en 2010 et dont elle a le portrait à gauche du bureau où elle écrit, se levait la nuit pour chasser les moustiques afin qu’elle puisse bien dormir avant de passer ses examens; comment elle courait à ses côtés pour l’aider dans ses cours d’éducation physique à distancer ses camarades. Et puis aussi, lorsqu’on avait parlé de sa petite-fille la première fois sur RFI pour son livre la Préférence nationale, elle s’était demandé ce que Fatou avait bien pu faire encore comme bêtise…
Il y a des gens de votre famille qui risquent de se sentir mal à la lecture de ce livre…
C’est le cadet de mes soucis. Je voulais être honnête avec la vie. Ils sont encore tous en vie et existent; mais je ne vais pas nier mon histoire car leur confort l’exige! C’est comme cela, advienne que pourra… Ils vont le lire en tous les cas, c’est certain!
Les certitudes sont bien là. Elles n’ont pour autant jamais dompté la fragilité qui donne à cette écrivain sensible une virtuosité généreuse dans ses histoires; lesquelles lui sont propres et pourtant universelles. Et qui ont fait d’elle une femme que l’on a définitivement envie d’inviter chez soi…
Par Laetitia Monsacré