Le Théâtre des Champs Elysées referme sa saison avec une nouvelle production d’un grand classique de l’émotion lyrique. Adaptant un roman-feuilleton de Murger qui constitue un document de choix sur la vie artistique au milieu du dix-neuvième siècle, la Bohème de Puccini compte parmi les opéras qui réussissent presque à coup sûr à émouvoir tous les publics, les connaisseurs comme les novices, autour du destin tragique de Mimi. Avec Eric Ruf, la chronique de cette impécunieuse antichambre de la gloire prend le tour d’une mise en abîme théâtrale, devant un rideau de scène que Marcello est en train de peindre. La fragile Mimi ne monte pas dans la mansarde mais y descend depuis un escalier métallique qui tiendrait plus du plateau de tournage. Plus encore qu’au Café Momus, c’est au troisième acte que ce tropisme se révèle le plus avec une lune de studio cinématographique, dans une séquence passablement protégée des morsures du froid soulignées par le livret. Quant au dernier acte, dans la mansarde aux allures de devant de scène, l’épilogue de l’agonie voit se lever ce rideau factice sur une foule de funérailles, en une référence picturale passablement attendue, au point de compromettre un peu la spontanéité de l’émotion. Si le réalisme sur les planches reste évidemment une convention, cette habile esthétique de coulisses conçue avec Christian Lacroix pour les costumes, et tamisée par les lumières de Bertrand Couderc, respire un exercice de style qui n’a pas entamé l’enthousiasme du public qui a fait salle comble avenue Montaigne.
Le triomphe du Rodolfo de Pene Pati et de la direction de Lorenzo Passerini
Sans doute impressionné par les grands noms, l’auditoire est-il porté, à juste titre, par le Rodolfo de Pene Pati, proposant une richesse de nuances dans une incarnation soutenue par une voix souple et lumineuse que d’aucuns placent, non sans raison, aux côtés des légendes. Certes la Mimi de Selene Zanetti n’oublie pas la modulation des affects et séduit par un timbre rond et sensuel, néanmoins peu propice pour le crédibilité de la phtisie. En Schaunard, Francesco Salvatori se distingue par un authentique investissement, secondé par un grain vocal nourri, et Guilhem Worms affirme un solide Colline, mieux calibré que le Marcello d’Alexandre Duhamel, qui privilégie la plénitude de l’émission à la subtilité dramatique. Le babil léger d’Amina Edris se contente de résumer les traits essentiels du caractère de Musetta, quand Marc Labonnette confère une certaine bonhomie à Alcindoro et au propriétaire Benoît. Les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine se sont certainement amusés autour de Parpignol de Rodolphe Briand, au milieu d’une foule chantée par le Choeur Unikanti. La direction animée de Lorenzo Passerini, qui remplace Lorenzo Viotti, déploie des trésors d’expressivité avec les pupitres de l’Orchestre national de France, en un virtuose théâtre musical qui a parfois un peu trop domestiqué l’émotion. Un beau spectacle, plein de qualités indéniables, et un vrai succès public, mais cette Bohème paraît un peu trop sage pour marquer durablement. La tournée de la coproduction à Angers-Nantes et Saint-Etienne le dira.
Par Gilles Charlassier
La Bohème, Théâtre des Champs Elysées, du 15 au 24 juin 2023.