20 septembre 2019
Un Glass pour inaugurer une nouvelle ère au Grand-Théâtre de Genève

Les changements de direction artistique se traduisent par des transformations, voire des ruptures dans les choix de programmation, comme dans l’ensemble de l’identité visuelle d’une institution. L’arrivée d’Aviel Cahn à la tête du Grand-Théâtre n’y déroge pas, avec un projet qui bousculera sans doute certaines habitudes d’un public réputé plutôt conservateur. Et pour ouvrir sa saison inaugurale, celui qui a fait de l’Opéra des Flandres l’une des places lyriques les plus innovantes d’Europe a choisi de donner la première scénique suisse d’Einstein on the beach, le premier opéra de Glass, créé au festival d’Avignon en 1976 dans un spectacle de Robert Wilson devenu légendaire – et qui avait été repris, il y a quelques années, où nous l’avions vu à Amsterdam. Face à un tel totem, c’est une certaine gageure que doivent relever Daniele Finzi Pasca et sa compagnie.

A rebours de l’épure discrètement ludique de la production originelle, le metteur en scène suisse prend le parti d’une lecture nettement  illustrative, et à l’humour plus explicite. Elaborée autour d’une reproduction du bureau d’Einstein, avec tableau noir, blanchi de formules à la craie, la scénographie modulaire de Hugo Gargiulo joue autour de la figure du savant et de sa théorie de la relativité. On retrouve ainsi le dispositif dédoublé de part et d’autre d’un écran reproduisant les acrobaties horizontales des danseurs, réglées par Maria Bonzanigo, qui, dans la projection vidéographique, dans le sens vertical, de Roberto Vitalini, semblent défier la pesanteur. Effets d’illusions, sinon de zygomatiques, garantis.

Au-delà de la légende wilsonnienne

De vastes toiles imitant des nuées interstellaires, un vélo flottant traversant épisodiquement le plateau, une figurante en robe orange plongée dans un vase d’eau transparent, un cheval, des ombres :  images et effets oniriques habitent trois heures quarante de musique et de minimalisme à visages humains, qui, sans recourir aux techniques dramatiques habituelles, n’en tissent pas moins une continuité narrative. Plus figuratives que dans la conception de Wilson, les longues boucles répétitives confondent parfois extase hypnotique et inertie relative, sans pour autant amoindrir la fascination d’un spectacle qui se referme sur une pluie de paillettes et une envolée de feuilles et de livres. Réglant les lumières aux côtés d’Alexis Bowles, Daniele Finzi Pasca démontre une évidente maîtrise du temps visuel et musical, dans une fidélité renouvelée à la partition de Glass – dont on a retiré une quarante de minutes.

Placée sous la battue vigilante de Titus Engel, le Einstein Ensemble, choeur et orchestre, réunit des étudiants de la Haute Ecole de Musique de Genève, et équilibre la précision combinatoire du flux musical, et une consistance hédoniste des textures sonores. A l’évidence, une interprétation au diapason d’une conception qui, au-delà de l’empreinte wilsonnienne, réussit à s’insinuer dans la mémoire de l’auditeur après la soirée – le signe sans doute d’un pari gagné.

Par Gilles Charlassier

 

Einstein on the beach, Glass,Grand-Théâtre de Genève, septembre 2019

 

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