Le mois de septembre signe traditionnellement la rentrée des orchestres, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre. Et l’ouverture de la saison américaine ne manque pas de mettre en avant deux figures majeures de la création contemporaine depuis un demi-siècle.
Au Lincoln Center, le New York Philharmonic a passé commande à Philip Glass d’une nouvelle pièce, qui inaugure le concert. Si l’on retrouve dans King Lear Overture l’efficacité mélodique de l’auteur d’Einstein on the beach, la partition, d’une dizaine de minutes enchaîne les thèmes, sans leur laisser le temps de développer le potentiel hypnotique qui distingue souvent la manière idiomatique du compositeur. Si le résultat exhibe une vitalité allante qui ne se relâche guère, cette énergie à laquelle le public ne reste pas insensible prend le pas sur une construction qui finit par sonner un peu brouillonne. Après cette mise en bouche, c’est un autre maître de la côte est, Barber, que défend Jaap van Zweden pour le début de sa deuxième saison à la tête de la phalange new-yorkaise, avec une pièce nettement moins jouée que son célèbre Adagio. L’évidence expressive de Knoxville : Summer of 1918, opus 24 est relayée par la vocaliste Kelli O’Hara, dans ce mouvement unique d’un quart d’heure qui conjugue maîtrise et simplicité. Après l’entracte, des extraits des deux premières suites orchestrales que Prokofiev a tirées de son ballet Roméo et Juliette confirme les idiosyncrasies du New York Philharmonic, qui subordonne parfois les nuances stylistiques aux décibels, même si la nouvelle baguette s’attache avec intelligence à renouveler la palette des pupitres d’un des Big Five des Etats-Unis.
Glass versus Adams
Le lendemain, après six heures de vol, c’est au Davies Symphony Hall que l’on retrouve le San Francisco Symphony, sous la houlette de son directeur musical, Michael Tilson Thomas. Pour ouvrir sa dernière saison après un quart de siècle aux commandes de la formation, le californien d’adoption John Adams lui a dédié la commande qu’il a reçue de l’orchestre et de Carnegie Hall, I still dance. Après avoir pris le micro pour dire quelques mots sur la pièce, le chef américain fait vivre le foisonnement rythmique d’une page brève – huit minutes – qui condense un métier et une inspiration accomplis où l’on reconnaît l’invention d’Adams. Pour être sans doute ça et là d’une certaine franchise, la virtuosité ne verse jamais dans la gratuité, et séduit sincèrement. Au piano pour le Quatrième Concerto de Rachmaninov, Daniil Trifonov déploie un jeu intense, où l’assurance digitale se met au service d’une interprétation investie, qui dépasse la démonstration concertiste et s’attache aux couleurs et aux affects développés par l’ouvrage. Quant à la Troisième Symphonie de Schumann qui referme le programme, la lecture de MTT se révèle précise, voire soignée, à défaut de se départir d’un polissage un peu pasteurisé pour le bouillonnement du romantisme germanique – les singularités du Schumann symphonique ne sont pas toujours faciles à restituer. On saluera cependant la palette large d’une soirée qui ne fait pas l’impasse sur l’un des plus grands compositeurs contemporains.
Par Gilles Charlassier
New York Philharmonic, San Francisco Symphony, septembre 2019