La Cour des comptes vient de rendre son rapport sur les aides à la presse « traditionnelle »: une gabegie. De 8 millions d’euros, on est passé à 70 millions de 2009 à 2011 avec des investissements pour la fabrication (rotatives, etc.) qui ont mobilisé 58% des aides, qui plus est concentrés autour de la presse d’information et de politique générale qui ne représente que 15 % du chiffre d’affaires de la presse écrite. Laquelle sera encore unique bénéficiaire de l’accord « historique« , ainsi que l’a qualifié Éric Schmidt, le patron du géant américain Google, octroyant 6o millions d’euros sur trois ans aux éditeurs qui auront été sélectionnés par leurs pairs, bien souvent juge et partie…. Voilà qui reste bienvenu, vu le modèle économique des sites de « contenus » sur Internet qui se réduit à demander la charité en matière de publicité, cela au prix de bannières ou encore pop-up pour le moins disgracieux voire agressifs (et encore Free a ouvert récemment la voie de leur blocage, confirmant la fragilité du système) ou à espérer qu’un gentil mécène -pas un investisseur, le mot serait mal venu- s’intéresse à ces éditions numériques de journaux ou autres « pure players » – mot pour qualifier les médias d’information étant exclusivement accessibles sur Internet comme Jim Le Pariser.fr. Des « purs joueurs », en traduction littérale, autrement dit pour « pour la beauté du geste » tant il faut de l’élégance et de l’abnégation pour aujourd’ hui se lancer dans la création, au quotidien, de contenus- a fortiori à dominante culturelle.
Il faut voir notre ministre, Aurélie Filippetti, les traits de plus en plus tirés depuis son arrivée en juin 2013. Double ministre, de la Communication et de la Culture-deux secteurs touchés comme jamais par les restrictions budgétaires. Elle n’ a pas aujourd’ hui -à part assister aux César et autres Victoires de la Musique- la tâche facile entre France Télévisions qui doit se passer de 200 millions d’euros de budget cette année, ou les musées qui, pour un succès au Grand Palais comme Hopper, le recordman de la saison avec 780 ooo entrées au total, ne doivent bien souvent d’assurer leur programmation que grâce à des mécènes. Lesquels veulent plus facilement les Impressionnistes que les Bohèmes… Car, il faut bien le dire, la culture que l’on a présentée comme « exceptionnelle » en France depuis Malraux ne vaut, financièrement parlant, aujourd’ hui quasiment plus rien. Incapable de rentabilité à court terme, elle est maintenue vivante à coups de perfusions jusqu’à ce que régulièrement, on lui coupe un membre. La fin tragique des magasins Virgin est un exemple en la matière, il est vrai aggravée par l’ incapacité du groupe à prendre le virage Internet. Lequel n’est pourtant pas la solution à tout. Il peut même être aussi le début de la fin comme pour cette compagnie de théâtre ÉclaThéâtre dont vous avez sans doute pu voir la belle programmation illustrée avec talent par le dessinateur Michel Bouvet sur les colonnes Moriss de la capitale. Spécialisée dans les spectacles revisitant les classiques pour les enfants, elle vient d’être mise en liquidation judiciaire malgré des critiques élogieuses et des salles pleines. Mauvaise gestion? Sans doute mais pas que cela. Depuis septembre, la plupart des billets étaient achetés à bas prix par des sites de billetterie en ligne les contraignant au dumping par leur politique de prix soldés, rendant impossible toute rentabilité pour la compagnie. Et le public, heureux d’aller chez Billet Reduc dont les bénéfices juteux n’ont pas manqué d’attirer un grand groupe comme Lagardère, qui comme tant d’autres sites marchands » tondent « en quelque sorte la bête. Sauf qu’ à trop la tondre, on l’a ici tuée. Et qu’ aujourd’ hui, à part Mickey ou Cendrillon version comédie musicale à la guimauve, il n’y a plus aucune grande salle sur Paris qui propose des spectacles en matinée pour faire découvrir Molière ou Shakespeare aux enfants.
On le sait, en période de crise, ce sont toujours les plus gros qui s’en sortent avec le « gras » qu’ ils ont et qui leur permet de tenir. Les petits, qu’ils soient dans l’édition , le spectacle vivant, la presse, ou la production cinématographique, eux, en sont réduits à essayer de survivre.
Alors si le public a toujours raison, il faut qu’ il soit conscient qu’ il doit être aujourd’ hui le mécène de cette presse et de cette culture qui lui sont proposées. Et qu’ il est le seul et unique gardien de cette diversité afin qu’on ne lui présente pas seulement ce qu’ il aime mais aussi ce qu’ il pourrait aimer pour reprendre Jacques Chancel. En ayant à l’esprit que pour cela, il doit être prêt à redonner aux productions dites intellectuelles leur vraie valeur, laquelle passe en l’ état par son porte-monnaie lorsqu’il achète un livre, télécharge un disque ou prend une place de théâtre.
Par Laetitia Monsacré
PS: Cette tribune devait à l’origine être publiée dans le Monde mais malgré les 18,4 millions d’euros reçus par le journal de l’Etat entre 2009 et 2011, la rédaction reste douloureusement en sous effectif…