Alors que la plupart des grands festivals français ont purement et simplement annulé leur édition 2020, de l’autre côté des Alpes, l’Italie a essayé de maintenir, dans des formules et des programmations adaptées, ses grands rendez-vous musicaux estivaux, pour que l’art et la culture ne renoncent pas devant la crise sanitaire. A Pesaro, qui depuis plus de quatre décennies célèbre chaque été son plus illustre enfant, le Rossini Opera Festival s’est replié en plein air, sur la Piazza del Popolo, cœur de la cité, et au Teatro Rossini, pour les deux productions scéniques, une nouvelle et une reprise, présentées selon un protocole particulier, avec l’orchestre au parterre et les spectateurs dans les loges.
Pour cause d’indisposition de la soliste, Marianna Pizzolato, la générale, à laquelle nous avons assisté, ne verra pas La cambiale di matrimonio, premier opéra de Rossini, précédée, comme initialement prévu, par son ultime page lyrique, la cantate Giovanna d’Arco. La matinée s’ouvrira donc d’emblée sur les juvéniles accents d’une farce traitant d’un sujet alors en vogue, celui des mariages arrangés. Conçue par Gary McCann, la scénographie tire habilement parti des panneaux coulissants pour façonner les espaces de la demeure de Tobia Mill, sous les éclairages efficaces et chatoyants de Ralph Kopp. S’accommodant non sans humour ni à-propos des contraintes sanitaires dans une direction d’acteurs qui joue de manière savoureuse avec les stéréotypes, Laurence Dale règle un spectacle sans temps mort, où les séquences s’enchaînent avec fluidité. Le plaisir comique n’est pas sacrifié, au contraire.
Une habile et savoureuse Cambiale di matrimonio
En patriarche calculant ses intérêts, au mépris des émois de sa fille, le Mill de Carlo Lepore s’appuie sur la rondeur généreuse d’un timbre aux accents presque débonnaires, et maîtrise toutes les ressources théâtrales d’une présence et d’une voix parfaitement calibrées pour le rôle, dont le caractère forme un contraste pertinent avec le Slook robuste de Iurii Samoilov, dont la ligne équilibre la déclamation et le chant. La séduction légèrement acidulée du babil de Giuliana Gianfaldoni résume avec évidence la fraîcheur des sentiments et de la sympathique ruse de Fanni. Davide Giusti se révèle complémentaire en Edoardo au lyrisme aéré et instinctif. Le Norton de Pablo Galvez et la Clarina un peu plus discrète de Martiniana Antonie composent un couple de domestiques que la dramaturgie ne met pas excessivement sous les feux de la rampe. A la tête de l’Orchestre Symphonique Rossini, aux pupitres répartis au parterre selon les règles sanitaires en vigueur, mais sans sacrifier aucun instrument, Dmitry Korchak accompagne la vitalité et les couleurs irrésistibles de cette Cambiale di matrimonio.
Le soir, sur la Piazza del Popolo où se tiendront la plupart des concerts de cette édition 2020, et que l’on ne peut rejoindre seulement si l’on est muni d’une pièce d’identité, un hommage aux victimes de l’épidémie de coronavirus est rendu avec la Petite messe solennelle de Rossini, dans sa version originale pour deux pianos et harmonium, après quelques allocutions introductives. Sous la houlette d’Alessandro Bonato, les choeurs, préparés par Mirca Rosciani, et les quatre solistes, Mariangela Sicilia, Cecilia Molinari, Manuel Amati et Mirco Palazzi, déploient le réconfort d’une partition recueillie, depuis le Kyrie augural, la mosaïque du Gloria et du Credo, jusqu’à l’émouvant Agnus Dei. A la fois consolation et retour à la vie, la musique témoigne, ici à Pesaro, de la volonté de l’Italie de ne pas baisser les bras. Un courage salutaire.
Par Gilles Charlassier
Festival Rossini, Pesaro, août 2020