3 juin 2012
Partir à l’entracte

Les voyageurs empruntant les trains ce dernier week-end de Pentecôte en ont été pour leurs frais. Avec douze « accidents de personnes » -en vocabulaire SNCF, un suicide- et à la clé deux bonnes heures de retard, chacun a pu prendre son mal en patience en s’offrant à l’occasion une réflexion sur sa vie, son sens, sa valeur. Je pars à l’entracte est un court et beau livre de Nicolas d’Estienne d’Orves, une lettre écrite à un ami qu’il ne la lira jamais. Et pour cause, celui-ci a choisi, comme une personne toute les heures en France de mettre fin à ses jours. Un record européen, un « mal » qui fait trois fois plus de victimes que les accidents de voiture. Et qui touche désormais les enfants. « J’aime pas la vie », cela commence de plus en plus tôt, surtout pour ces enfants qui ressentent de plus en plus le mal être de leurs parents, avec ce que Boris Cyrulnick appelle la « génétique du suicide ». La crise, tout le monde en parle, certains ne la voient pas du tout et d’autres n’y résistent pas, avec bien sûr des inégalités entre chômeurs et actifs, ouvriers et cadres. De quoi mettre chacun de nous face à ses responsabilités citoyennes, « fait social » s’il en est comme l’avait défini le philosophe Emile Durkheim, en convoquant la société, en l’interpellant. Quitte à déranger, avec des chiffres qui sont forcément sous évalués, suicides maquillés en accidents, et à ce jour, aucun observatoire qui, en France, n’a vu le jour malgré les demandes ou les exemples des autres pays comme la Grande Bretagne ou la Suède. Ainsi celui des agriculteurs, 800 par an, est -il totalement passé sous silence y compris par la FNSEA, incapable de s’attaquer à cette politique  agricole qui profite à une minorité de gros exploitants et de multinationales. Surendettement, isolement, charge de travail- la corde, le fusil,  ou les produits chimiques finissent par s’imposer sous une chape de silence. L’entreprise est également devenu une broyeuse où la hiérarchie- relire les Heures souterraines de Delphine de Vigan- ou les techniques commerciales amorales peuvent vous conduire au geste que d’aucuns qualifient d’acte suprême de liberté. Dans notre concours de nouvelles-voir Plume-, c’est une enseignante qui s’en remet « à une amie pour la vie ». Avec la mort en cadeau. Paix à leur âme.

 

Par Laetitia Monsacré

Je pars à l’entracte de Nicolas d’Estienne d’Orves -Les Affranchis
Les Heures Souterraines de Delphine de Vigan- Editions Jean Claude Lattès

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