« Elle n’était pas d’ici ». Andrée Putman a su mieux que quiconque offrir des univers rassurants, à l ‘esthétique parfaite et à la simplicité impériale. Sans doute était-ce pour se protéger de cette vie quotidienne à laquelle elle semblait si mal adaptée. La jeune journaliste que j’étais a eu le privilège d’interviewer la grande dame il y a plus de quinze ans, venant la chercher à la porte même du taxi dans cette ville qui lui semblait si effrayante. J’en reste encore impressionnée par la rigueur et le bonheur avec lesquels elle choisissait ses mots; elle n’était pas belle et pourtant elle irradiait, racontant comment, alors qu’elle voulait être compositeur-sa mère étant pianiste-, elle « s’était cassée » lorsque Francis Poulenc, son maître lui avait dit qu’elle ne serait jamais une grande musicienne. Car Andrée Putman-Dédée pour les intimes- voulait être au sommet, jamais dans les seconds. En devenant designer, elle a trouvé sa voie, décorant des hôtels comme le Morgan’s de New York en 1984puis une seconde fois en 2008, où on lui avait fait selon elle le plus beau compliment qui soit:« que cela ne se voit pas ». Rien n’était ostentatoire dans ses choix, dans sa mise, dans son physique. Elle s’effaçait comme dans ces chambres d’hôtel du Sheraton Roissy, merveille de l’architecte Paul Andreu, où l’homme est entre ciel et terre.
De Prisunic aux hôtels de luxe
Avec son mari Jacques Putman, éditeur d’art et critique, elle fréquenta Nicki de Saint Phalle, Giacometti, Arman, puis lança la ligne décoration de …Prisunic. Le design pour tous, « le beau au prix du laid » comme disait Denise Fayolle, directrice du projet, et cette idée reprise à Léonard de Vinci que « La simplicité est la sophistication ultime ». Chaise Thonet en bois courbé, reproduction de Nicki de Saint Phalle et Bram Van Valde ou Alechinski vendues à 100 francs pièce, Puis la cinquantaine passée, voilà Ecart, son agence qu’elle ouvre seule pour rééditer objets et meubles des années 1930 avec des inconnus à l’époque comme Eileen Gray ou Mariano Fortuny. mais aussi tant d’autres avaient été découverts par elle. Guerlain et ses Fontaines Impériales sur les Champs Elysées, les boutiques Yves Saint Laurent ou Alaïa qui l’habillait au quotidien, le somptueux CAPC-Musée d’art contemporain dans une ancienne halle aux grains à Bordeaux( elle adorait le côté brut des bâtiments industriels), moultes hôtels « cette parenthèse accidentelle d’habitat qui se situe entre le privé et le public, l’étranger et l’intime, le permanent et l’éphémère » la cabine du Concorde en 1994 avec des appuie tête comme des collerettes de bonnes-soeurs, le bureau de Jack Lang ou la maison de Jean Paul Goude elle sera la papesse du bon goût.« J’ai en horreur toute image du luxe qui serait liée à l’argent et à l’arrogance » disait-elle, considérant que le style n’avait rien à voir avec l’argent mais « la liberté et l’harmonie ». Et que le luxe, c’était avant tout l’espace…
Eloge de la Ligne droite et de la courbe
Lieux publics mais également privés, s’amusant de ces clients particuliers qui prenaient des photos de leur appartement décoré par elle afin que la femme de ménage y repose au millimètre près les objets... »Des prisonniers ». Il y a trois ans, une superbe exposition lui fut consacrée à l’Hôtel de Ville, avec un piano baptisé Voix lactée, trônant à l’entrée. Elle n’y assista pas, déjà un peu dans les étoiles…Des salles de bains du Morgans aux carreaux noir et blanc qui devinrent sa signature à Paris ce 19 janvier qui pris avec la neige les mêmes couleurs, Andrée a réussi à partir en silence, sans avoir à subir la neige souillée le lendemain. Que du beau, vous dis-je…