A une heure de route de Bari, Martina Franca, aux pays des trulli, ces habitations caractéristiques de la région, est depuis plus de quatre décennies le creuset des raretés et des redécouvertes musicales. L’édition 2019 ne déroge pas à cette réputation aussi légitime qu’établie, et se referme sur l’exhumation d’une partition de Manfroce, compositeur né en 1791, un an avant Rossini, et dont la carrière aura été écourtée par une mort prématurée à vingt-deux ans. Créé à Naples en 1812, Ecuba se concentre sur un épisode de la mythologie troyenne, où la reine veut venger la mort de son fils Hector, et va se servir des engagements matrimoniaux de sa fille pour accomplir son dessein. Si l’ouvrage est contemporain des premières œuvres du Cygne de Pesaro, la veine dramatique fait davantage songer à l’épure antique de La vestale de Spontini.
Sous le tiède dais nocturne des Pouilles, dans la cour du palais ducal, la mise en scène de Pier Luigi Pizzi tire parti des lieux pour façonner une scénographie dépouillée, en consonance avec l’inspiration de la pièce. Ordonné à la manière d’un triptyque, le plateau résume autour d’un autel la dimension sacrificielle de l’argument, tandis que les choeurs du Teatro municipale di Piacenza, préparés par Corrado Casati, sont en tenue de deuil.
Ecuba, épure tragique
Dans le rôle-titre, Carmela Remigio fait impression dans une incarnation empreinte d’une puissance tragique, avec une palette large, qui couvre toute la complexité et l’évolution des affects du personnage, jusque dans les saisissantes imprécations finales aux tonalités prophétiques qui la rapproche d’une Cassandre ou encore des ultimes accents de la Didon de Berlioz. L’évidence de l’engagement vocal et théâtral n’échappe pas à l’auditoire, qui ne manque pas de manifester son enthousiasme envers la soliste lors des saluts.
Le reste de la distribution ne démérite aucunement. En Polissenna, Roberta Mantegna affirme une voix riche et colorée, qui soutient une présence et une intensité indéniables. Norman Reinhardt se distingue en Achille à la musicalité maîtrisée, qui calibre sa vaillance pour en faire vibrer toutes les ressources expressives. Mert Süngü réserve un Priam au timbre souple, qui n’écrase pas ses partenaires. Mentionnons encore les interventions plus discrètes – mais néanmoins assumées sans lacunes – de Teona, par Martina Gresi, et celles d’Antiloco par Lorenzo Izzo. A la tête de l’Orchestre du Teatro Petruzelli di Bari, Sesto Quatrini, remplaçant Fabio Luisi pour les dernières représentations, s’attache à équilibrer les beautés et la dynamique d’une partition aux récitatifs parfois un peu dilués, à l’exemple du début du deuxième acte, mais compte des séquences remarquables et inspirées, à l’instar de l’admirable scène finale. En une heure quarante, sans entracte, cette Ecube de Manfroce s’inscrira naturellement dans le foisonnante palmarès de résurrections de Martina Franca.
Par Gilles Charlassier
Ecuba, Manfroce, Festival de Martina Franca, juillet-août 2019