« Donne-moi ta main et suis moi ». Voilà ce que Lucien Jerphagnon semble murmurer à notre oreille tout au long de son dernier livre, posthume, qui rassemble plusieurs textes de ce philosophe et historien des idées mort en 2011. Un livre entraînant, dans lequel on suit son pas élastique, agile et félin – lui qui aimait tant les chats – pour une balade dans ce monde gréco-romain, dont il était devenu si familier, en compagnie d’autres hellénistes comme Jacqueline de Romilly, Jean-Pierre Vernant ou Pierre Vidal-Naquet.
Composé de plusieurs textes sur les thèmes du temps, des mythes, de Dieu ou de l’amitié, L’homme qui riait avec les dieux est un coffret à bijoux, que l’on peut ouvrir pour se saisir de trésors de la pensée ou d’amulettes de sagesse. Au fil des pages, le livre offre ainsi une méditation sur notre héritage grec, sur ce temps où la pensée était unie, où « magie, religion et science » cohabitaient dans les mythes; un temps où naissaient l’idée de démocratie, les valeurs du beau et du bon, et pour tout dire, de la vie idéale.
Erudition qui n’exclue pas l’ humour
Les Anciens allaient et venaient du mythe à la philosophie, de la légende à l’histoire ce que l’auteur nous explique, revenant sur ce va-et-vient souple s’il en est, et qui, au fil des siècles, s’est durci en deux pôles opposés, prétendant de façon absolue à la vérité : la religion et la science. Pour retrouver l’intelligibilité de la pensée antique, il invite le lecteur à réconcilier le mythique religieux et le rationnel, à ne pas se limiter à une seule vision du monde. « Ayant si longtemps partagé la vie quotidienne des gens de l’Antiquité et du Moyen Age, j’aurais aimé restituer aujourd’hui quelque chose. de l’harmonie d’hier. Réconcilier autant que possible le mystère de la vérité et la vérité du mystère. Comme dans tous les divorces, la rupture entre le savoir et le croire a fait des dégâts (…). L’humanisme bien compris devrait, du moins à mon sens, restaurer cette harmonie, ou du moins ne pas renoncer à la tenter. »
Parler de philosophie ou d’histoire des idées, même avec rigueur et précision, n’exclut par ailleurs ni le rire ni l’humour que cultive Lucien Jerphagnon avec bonheur. La façon de celui que Jean d’Ormesson avait défini comme » un savant qui sait unir un style rapide et séduisant à l’érudition la plus rigoureuse », d’évoquer les fantasmes autour de Caligula ou les martyrs des premiers chrétiens, de mettre sans cesse en perspective l’Antiquité et notre époque contemporaine rend ainsi le livre drôle et léger.
Alors, quand l’érudition tutoie aussi bien l’humour, rions avec les Dieux…
Par Amadys de Gaule
L’homme qui riait avec les dieux, de Lucien Jerphagnon, publié chez Albin Michel, 19 €.