27 janvier 2020
L’Italie lyrique au-delà des sentiers battus

Si l’Italie est souvent associée au bel canto et à quelques compositeurs parmi les plus joués du répertoire, la programmation lyrique de la péninsule ne se limite pas à cette carte postale. Au-delà des festivals où se donnent rendez-vous les amateurs de redécouvertes, le Teatro Regio de Turin n’hésite pas à sortir des sentiers battus. La rareté de cette saison est un ouvrage qui n’avait jamais été donné jusqu’alors en Italie, Violanta de Korngold, créé quatre ans avant l’opus qui le fera passer à la postérité, La ville morte, et qui est donné pendant la semaine du Jour de la Mémoire, en hommage aux victimes de la Shoah – la mise à l’honneur, bienvenue, d’un musicien qui a dû fuir le nazisme ne relève sans doute pas de la coïncidence.

Opus de jeunesse écrit à seulement dix-sept ans, la pièce n’en témoigne pas moins du style personnel du compositeur, mêlant un sens aigu de la puissance dramatique avec une sensualité orchestrale et mélodique reconnaissable. Plongeant dans les tourments de l’amour jusqu’à la morbidité, l’argument entretient d’évidentes parentés avec Une tragédie florentine de Zemlinsky, également en un acte, tandis que l’Italie de la Renaissance, dans sa traduction littéraire explorant des recoins intimes plus sombres, fait également penser à plus d’un opéra du tournant du siècle, de La Gioconda de Ponchielli à Francesca da Rimini de Zandonai. Et, de manière symptomatique, l’intrigue de Violanta se déroule au cœur du carnaval de Venise, où l’héroïne, tiraillée entre l’attirance et la haine, veut venger la mort de sa sœur Nerina, abandonnée par Alfonso ; elle s’interposera fatalament entre celui-ci, fils illégitime du roi de Naples, et le poignard de son époux, Simone Trovai. Climax de cet acte unique d’à peine plus d’une heure, le duo entre Violanta et Alfonso, nourri d’une saisissante tension amoureuse et extatique, annonce les sortilèges du duo entre Paul et Marietta dans La ville morte, avec une inimitable alchimie des voix et de la pâte instrumentale.

Première italienne de Violanta, chef-d’oeuvre de jeunesse de Korngold

Au diapason des couleurs de la salle du Teatro Regio, la mise en scène de Pier Luigi Pizzi baigne dans des tonalités de rouge et ne cherche pas à s’éloigner de la littéralité du livret. D’une appréciable lisibilité, le résultat ne manque pas d’efficacité visuelle et théâtrale, en s’appuyant sur les lumières d’Andrea Anfossi, qui accompagnent le contraste entre l’éclat et les masques de la fête, et le resserrement intimiste.

L’ensemble se met au service de la partition et des interprètes. Dans le rôle-titre, Annemarie Kremer tire parti de la densité de son timbre pour faire vivre la fébrilité de son personnage, sans jamais sacrifier l’intégrité opulente d’une voix dénuée d’affectation. Michael Kupfer-Radecky impose l’autorité de Simone Trovai, face à un Alfonso à la fois robuste et lyrique de Norman Reinhardt, qui se distingue du caractère plus latin de Peter Sonn, le peintre Giovanni Bracca. Aux côtés de la Bice de Soula Parassidis, Anna Maria Chiuri affirme, avec une indéniable homogénéité, la tutelle inquiète de Barbara, la nourrice de Violanta. Le reste de la distribution complète le tableau, avec le Matteo de Joan Folqué, les deux soldats dévolus à Cristiano Olivieri et Gabriel Alexander Wernick, ainsi que les deux servantes, assumées par Eugenia Braynova et Claudia de Pian. Sous la houlette d’Andrea Secchi, les choeurs participent du pittoresque de l’oeuvre, quand Pinchas Steinberg, baguette habituée du répertoire post-romantique, met en avant les fascinantes richesses d’une musique qui mériterait une meilleure postérité qu’une vingtaine de représentations depuis son retour très épisodique au répertoire, il y a une vingtaine d’années.

Rome sous le signe du bel canto

Ce week-end italien en marge des sentiers battus se poursuit le dimanche au Teatro dell’Opera de Rome, avec une œuvre certes moins rare, I Capuleti e i Montecchi de Bellini, mais néanmoins relativement discret dans les programmations, en particulier de l’institution romaine, qui a ouvert sa saison avec un autre ouvrage passablement négligé d’un autre maître du romantisme italien, Les vêpres siciliennes de Verdi. Réglant, comme son Pier Luigi Pizzi dans la Violanta de Turin, tous les paramètres du spectacle, Denis Krief, qui a été régulièment à la tête de productions lyriques ces dernières années dans la capitale italienne, à l’exemple de Rusalka ou, l’été dernier, d’Aïda, propose une scénographie économe, dans une architecture évoquant le début du vingtième siècle, entre Chririco et le Palais de la civilisation italienne.

Ce minimalisme qui évacue toute illustration servile de la Vérone du drame shakespearien, permet une concentration favorable aux ressources musicales essentielles, portée par un plateau qui n’hésite pas à se faire un tremplin pour des solistes encore jeunes. En Romeo, Vasilisa Berzhanskaya démontre un remarquable équilibre dans l’émission et les couleurs, et privilégie une musicalité calibrée, à laquelle répond le babil aéré et sans fadeur de la Giuletta campée par Mariangela Sicilia. Iván Ayón Rivas fait palpiter l’impulsivité de Tebaldo, sans altérer les teintes solaires de la ligne du chant. Nicola Ulivieri ne dépare aucunement dans les accents paternels de Lorenzo, quand ceux de Capellio, plus rudes, reviennent à Alessio Cacciamani, non moins honnête. Outre les interventions des choeurs, préparées, comme d’habitude, par Roberto Gabbiani, Daniele Gatti retourne à une partition avec laquelle il a débuté sa carrière, et en livre une lecture sans boursouflure rhétorique ou sentimentale, en synchronie avec l’épure visuelle de Denis Krief. Le répertoire lyrique réserve des trésors parfois relégués, et qu’il fait bon de remettre à l’affiche. En ce mois de janvier, Turin et Rome s’y emploient de belle manière.

Par Gilles Charlassier

Violanta, Korngold,Teatro Regio, Turin et I Capuleti e i Montecchi, Bellini, Teatro dell’Opera Rome, janvier 2020

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