– Tournez à droite, vous êtes arrivé.
Il essaya encore d’aller à gauche, forçant le volant d’une manière inconnue depuis la direction assistée. Ce tour de manivelle resta sans effet ; la neutralité de la féminité vocale, d’un entêtement imperturbable, répéta une dernière fois la consigne. Le conducteur voulut à nouveau défier les réflexes du navigateur. Puis tout s’éteignit, dans un bruit de réacteur mourant, laissant clignoter les seuls feux de détresse, ultime signe de vie émergeant du coma automobile.
L’homme avait vaincu la machine et se trouvait maintenant désemparé.
La dernière innovation technologique à la mode l’avait pourtant enchanté. On lui avait vanté les mérites de ce système automatisé de conduite où il suffisait de dicter la destination pour que votre automobile vous y amène, comme d’elle-même. Une fois l’itinéraire enregistré, il suffisait de tenir le volant pour que votre berline s’occupe du reste. Accélérer, ralentir, s’adapter aux limitations de vitesse, aux carrefours et autres feux de signalisation, la détection de présence humaine du conducteur, grâce aux mains sur le volant, était la seule et unique condition nécessaire à la bonne marche du tout. Aussitôt installé dans l’habitacle cossu, il avait donc prononcé « rue de Carparques » et, comme il en avait pris l’habitude, s’était confié aux bons soins de son gadget.
Il entendit une main frapper contre la vitre. Il fallut sortir et l’autre dehors, un costume cravate d’une quarantaine d’années, s’écarta légèrement. Il souhaitait rentrer dans le parking et le véhicule en panne obstruait le passage. Tournant la tête, le conducteur en détresse lut « Car Park » et comprit enfin l’origine de son malheur.
– Désolé, ma voiture s’est arrêtée, et j’arrive plus à la redémarrer. J’essaie de trouver un dépanneur, mais plus rien ne marche. Vous pouvez peut-être m’en appeler un ?
– Bon alors…
Et le costume cravate glisse le doigt sur l’écran de son portable, met l’appareil à son oreille, et revient vers le conducteur immobilisé.
– Dans quinze minutes.
L’autre remercie et rentre à l’intérieur où règne encore une agréable tiédeur.
Mais très vite des klaxons se font entendre. La patience du costume cravate n’était hélas pas partagé par les citadines qui s’étaient agglutinées. De l’une d’entre elles émergeaient des cheveux figés en pointe par le gel et la figure oblongue d’un commercial surexcité.
– Bon alors vous dégagez ?
– Ou j’appelle la police, dégaine un peu plus loin une voix de crécelle.
L’attente commençait à devenir longue, et le délai annoncé était sur le point d’expirer.
Un gyrophare tinte à l’horizon de tôle et bientôt une faction se dirige vers le véhicule en infraction.
L’homme fait un salut militaire, oblige le conducteur à sortir de sa planque et lui présente sa carte d’inspecteur de police dont il ne retient que la première lettre de ce qui semble être le patronyme.
– Vos papiers s’il vous plaît.
Il examine les documents qui lui sont soumis.
– Pourquoi vous vous êtes arrêté au milieu de la voie ? Le stationnement y est interdit.
– Mais c’est ma voiture qui est en panne.
Il lui explique alors comment son système de navigation l’a induit en erreur et a fait court-circuiter le moteur.
– Ce n’est pas mon problème, vous êtes responsables de votre voiture et du matériel que vous embarquez, tranche le représentant des forces de l’ordre, qui fait signe à ses collègues de fouiller le véhicule.
On ouvre le coffre, les portes arrière, la boîte à gants et même le moteur. Rien de suspect apparemment. L’inspecteur ne veut toutefois pas s’avouer vaincu et exige une pièce d’identité officielle, en sus du permis de conduire.
Le document a légèrement dépassé la décennie et révèle l’origine étrangère de l’individu. Un rictus s’épanouit sur le visage du policier, tandis que le conducteur, désormais délinquant, pâlit.
– Vous n’avez pas une pièce plus récente ? demande l’officier avec un sadisme évident.
Devant le signe de négation de son interlocuteur, il le fait menotter. « On l’embarque ».
Des clameurs de soulagement et des applaudissements parmi la foule saluent l’efficacité de la police. La crécelle hargneuse lança un « enfin ! » devant le menotté légèrement basané, et son collier de perles tinta de satisfaction.
-Voilà ce qui arrive à ceux qui désobéissent aux lois, dit tranquillement le vieux monsieur dans son fauteuil, en refermant le recueil d’histoires qu’il venait de lire à ses petits-enfants.
– Papi Claude, raconte-nous encore une aventure de l’inspecteur Géant, réclama l’aîné, à la frimousse blonde et aux pommettes saillantes.
– Oh oui, reprirent en chœur les deux plus jeunes.
Le vieux bonhomme poussa un murmure de satisfaction, en se remémorant les derniers décrets qu’il a fait promulguer dans l’entre-deux tours de la déroute électorale. Les lunettes lui tombaient sur le nez.
– Demain mes enfants. Votre papi doit se reposer ce soir.