Après une ouverture verdienne, l’Opéra royal de Wallonie remet à l’affiche une production du Mariage secret de Cimarosa réglée par le directeur artistique, Stefano Mazzonis di Pralafera, qui n’avait pas été donnée à Liège depuis dix ans. Comme à son habitude, le metteur en scène italien assume le respect de l’ouvrage et du livret, qu’il ne cherche pas à sortir de son contexte de comédie de la fin du dix-huitième siècle. Avec la complicité des décors de Jean-Guy Lecat et des costumes très hauts en couleurs de Fernand Ruiz, il ne se confine pas pour autant dans le sérieux de la reconstitution historique. Perruques et vestiaire affirment une gourmandise certaine pour un kitsch très théâtral, relayée par un jeu d’acteurs porté sur la farce et les gags, secondé par un quintette de figurants et un machiniste costumé, quitte à parfois préférer le rire à la subtilité. Les éclairages de Franco Marri modulent de manière tour à tour vivifiante et poétique les atmosphères de cette psychologie de carton-pâte habilement relevée, que le plateau réuni incarne avec un métier évident.
Les deux tourtereaux secrètement mariés reviennent au babil frais et alerte de Céline Mellon, Carolina, et au Paolino de Matteo Falcier, privilégiant la fébrilité à l’élégance. Mario Cassi ne manque pas de saveur en Conte Robinson, nullement niais derrière une apparence un peu pincée. Sophie Junker se révèle une Elisetta au caractère reconnaissable, quand Annunziata Vestri déploie d’aussi irrésistibles ressources de mezzo en Fidalma, que Patrick Delcour en barbon Geronimo jamais effrayé par le ridicule de ses prétentions paternalistes, avec un jeu nourri d’un sens de la répartie comique. Dans la fosse, Ayrton Desimpelaere, l’assistant de Speranza Scappucci, qui dirige sa première production en position titulaire, impulse une dynamique juvénile communicative qui gagnera en précision avec l’apprivoisement d’un trac légitime. Mentionnons par ailleurs le continuo de Hilary Caine au clavecin, émaillant les récitatifs de délicieux anachronismes, tels la Marche triomphale d’Aïda de Verdi ou la Chevauchée des Walkyries, pour le pendant wagnérien.
De Cimarosa à Pauline Viardot
Quelques jours plus tard, c’est Speranza Scappucci qui prend la relève au pupitre pour diriger le Requiem de Verdi. L’impressionnante messe que le compositeur avait dédiée à la mémoire de Manzoni, grand écrivain qui s’était engagé à ses côtés pour l’unité italienne, développe en réalité un projet conçu initialement pour les funérailles de Rossini, et fait appel à de remarquables effectifs de choeur – une centaine ! Réunissant les forces de la maison et celles de l’IMEP de Namur, l’ensemble placé sous la houlette de Pierre Iodice et de Benoît Giaux assume la puissance opératique de la fresque, au diapason d’une direction attentive aux détails expressifs comme de la véhémence picturale de l’inspiration. Elle sait sculpter les masses sonores autant que les délicates interventions des pupitres. Le plateau vocal n’est pas en reste. Si l’éclat de la mezzo Sabina Willeit pourrait se faire plus idiomatique, pour mieux contraster avec Serena Farnocchia, soprano au timbre rond et généreux, Marc Laho retient l’attention par sa vaillance et son engagement parfaitement à-propos, aux côtés de Roberto Scandiuzzi, basse solide et vigilante au texte, à défaut d’avoir conservé toutes les couleurs d’une voix qui dépasse désormais la maturité. Signalons enfin, en parallèle, l’adaptation de la Cendrillon de Pauline Viardot, à destination d’un très jeune public. L’interactivité du spectacle compense sans doute une densité musicale réduite à portion congrue.
Par Gilles Charlassier
Le Mariage secret de Cimarosa, et Le Requiem de Verdi, Opéra royal de Wallonie, Liège, octobre 2018