19 avril 2023
Libé, quinqua et toutes ses dents

 

23h30, notre titre est trouvé. Trop tard si nous étions tenus à un bouclage papier comme Libération où dans les tout nouveaux locaux de l’avenue de Choisy, « la dream team » ( entre cinq à neuf rédacteurs) du quotidien  s’y met dès 19 heures pour, en moyenne, « accoucher » en trois quart d’heure de ce qui a fait la renommée toujours intacte du journal après cinquante ans: les titres de sa Une. Comme pour Coluche, « C’est un mec, y meurt… », le vendredi 20 juin 1996 ( le quotidien coutait alors 4, 90 Francs), la mort de la reine Elizabeth II, « La peine d’Angleterre », ou celle de Françoise Sagan, « Tristesse ». Mais en un demi-siècle de ce quotidien générationnel créé en 1973 par un certain Jean-Paul Sartre, il y a eu aussi des Unes plus engagées comme cette photo de Jacques Chirac à moitié défiguré lorsque, tout juste élu, il reprit les essais nucléaires à Mururoa « son amour », Bernard Arnault avec une valise « Casse toi pauvre con »-reprenant l’insulte de Nicolas Sarkozy faite à un visiteur au Salon de l’agriculture (la régie pub s’en souvient encore!) ou des fulgurances comme, le lendemain de l’incendie de la Cathédrale de Notre Dame, « Notre Drame ». Et puis, il y a ce logo rouge inchangé depuis le siècle dernier sur lequel se détache une des plus belles promesses qui soient, Libération.

Sortir du journalisme de salon

Avec son hors-série, 50 ans, 50 combats, ce journal culte qui a accompagné la victoire de la gauche en 1981 et promettait « d’aider le peuple à prendre la parole » et « d’en être le porte-voix ». « Des droits des homosexuels à Solidarnosc, du temps de travail-déjà-aux sans-papiers, de la peine de mort au non à Le Pen », le quotidien que les intellectuels de gauche- mais pas que- se plaisaient à afficher sous le bras ou à ouvrir dans le métro-le format s’y prêtait bien plus que pour Le Figaro ou Le Monde- voulait « sortir du journalisme de salon » et « inventer le journalisme de la vraie vie. » Et devenir un « copain » que l’on appelle par son petit nom Libé, avec un rédacteur en chef charismatique, Serge July, puis la valse des patrons de Rothschild à Altice jusqu’à devenir en 2021, vraiment libre avec un fond de dotation composé de ses propres journalistes; une équipe de 210 rédacteurs pour une diffusion de 100 000 exemplaires chaque jour ( la plus forte progression dans la presse quotidienne nationale en 2022) et un tournant assumé et réussi sur le web qui représente aujourd’hui 70 % des lecteurs, avec 25 millions de visites mensuelles et 4,5 millions d’abonnés sur les réseaux sociaux.

Nouveaux locaux, nouvelles plumes

Exit après un court passage Nicolas Demorand qui hurle avec les loups désormais à la matinale de France Inter ou Laurent Joffrin, ex du Nouvel Obs, qui vient de lancer son propre media sur le net, Le Journal. Fini aussi, les locaux atypiques d’un ancien parking rue Béranger à quelques mètres de la place de la République, Libé s’est convertit au numérique avec un abonnement mensuel à 9,90 euros et seize newsletters; et toujours, sa der’, le portrait en dernière page dnt chacun rêve d’être l’objet, pré-carré de Luc le Vaillant qu’il accepte parfois de prêter à d’ autres rédacteurs dont, entre autres, le jeune Morgan Belouassaa qui est entré chez Libé en commençant par le standard! Comme quoi, le quotidien pratique l’ascenseur social, à l’inverse de beaucoup d’autres rédactions où sévissent des  « chapelles », autant de rubriques intouchables où les vieux rédacteurs s’accrochent, jusqu’à la tombe, à « leurs pages ». Ce qui est un bonheur lorsqu’ils ont la plume de Florence Aubenas (passée au Monde), moins pour d’autres comme Jean Quatremer, correspondant de Libé à Bruxelles, particulièrement à côté de la plaque pendant la crise des Gilets Jaunes.

Le poids des mots, le choc des photos

Partenaire logique et actif, depuis sa création, du monde culturel, Libé est incontournable pour « les cultureux » du Festival d’Avignon-le théâtre, d’Aix en Provence-le lyrique ou de Rock en Seine, avec pour les livres, une place à part comme le Libé des écrivains qui, le 21 avril prochain, aura comme rédacteur en chef, Giuliano da Empoli, auteur du Mage du Kremlin, Grand prix de l’Académie française et succès littéraire pressenti pour le Goncourt de 2022. Des mots, mais aussi des photos qui ont marqué l’histoire, avec une exposition spéciale dans l’écrin de l’Abbaye de Montmajour qui aura lieu pendant les Rencontres d’Arles où il sera sans doute occulté le fait qu’une photo de couv’ est désormais payée 80 euros à son auteur. Car la crise de la presse écrite est passée par là; les Français lisent de moins en moins avec des journaux qui sont devenus pour la plupart, la propriété de milliardaires, de François Pinault avec Le Parisien et Les Echos à Serge Dassault pour Le Figaro ou le tchèque Daniel Křetínský pour Marianne, également actionnaire indirect du Monde, avec pour conséquence des articles bien souvent rédigés en publireportages, au service des annonceurs et plus vraiment du lecteur. Sans compter que Libé a souffert de la déshérence de la gauche, et de la presse gratuite distribuée à la sortie du métro, avec ses articles fast-food et ses régies pub dévorantes.

Mais, ne gâchons pas la fête, Libé et son nouveau rédacteur en chef Dov Alfon- un ancien du Mossad!- achèveront leur cinquantenaire à la Philarmonie de Paris le 11 novembre 2023, autour de masterclass, de débats, d’un spectacle « Libé s’la raconte » pour finir en musique et en danse jusqu’au petit matin. Et confirmer que ce quinquagénaire a toujours la forme et… toutes ses dents.

Par Laetitia Monsacré

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