24 janvier 2012
Les « ploucs » vous saluent bien

 

Il y a des anniversaires dont tout le monde se fout. Celui que s’apprête à célébrer, en Bretagne, la ville de Guingamp en fait largement partie. A l’heure où les rois du pétrole font la pluie et le beau temps sur le foot-business à la française, la célébration du centenaire du club de football d’une bourgade de 7 000 habitants ne va pas changer le cours de la marée. Certes non. Et pourtant, l’En Avant de Guingamp, plus petit club de foot professionnel d’Europe à avoir tutoyer le haut niveau, n’est pas à un miracle près.

David contre Goliath

Rappelez-vous, un certain 9 mai 2009. Ce soir-là, le Stade de France n’a jamais été aussi rempli pour un match de football. Quelque 80 000 spectateurs. Plus que pour la finale de la Coupe du monde 1998. Sur le terrain, point de Zidane, Ronaldo ou autres stars du ballon rond. Mais, la sous-préfecture des Côtes-d’Armor contre la préfecture de Bretagne. Guingamp face à Rennes. La finale de la Coupe de France bat son plein, la Bretagne est sous les projecteurs. Voilà que contre toute attente le liliputien, Guingamp, accomplit l’impensable face à une capitale bretonne archi-favorite. L’enceinte du Stade de France assiste incrédule à la victoire du foot des champs sur celui des villes, à la revanche des « ploucs » sur le club du milliardaire François Pinault.
La France aime ces histoires d’irréductibles Bretons. Sarkozy moins, qui a traîné des talonnettes jusqu’au dernier moment pour ne pas assister à la rencontre. Tollé dans la presse. On ne déroge pas à une tradition instituée en 1927, qui veut que tout chef d’Etat français assiste à la finale de la Coupe de France. Mais il faut dire que Guingamp n’a pas grand-chose à voir avec le cap Nègre. C’est l’anticarte postale du Grand Ouest. La Bretagne sans la mer. Celle des usines de sandwichs Daunat, des minima sociaux et d’un des plus haut taux de suicides en France. Ici, le football n’est pas une simple distraction, mais une épopée collective et le poumon économique d’un territoire malmené par les mutations du monde agricole. A deux pas du petit centre médiéval, au milieu des barres HLM, se dresse le stade du Roudourou et ses 18 000 places. Deux fois et demie la population de la ville. Un monument de fierté sur un fond de précarité.

Ex vendeur de machines à laver

P’tit Louis fêtera les 100 ans de son équipe comme il se doit. « Depuis toujours, l’En Avant de Guingamp, c’est le club des ouvriers, des petits qui font la nique aux puissants », raconte fièrement cette figure emblématique du club et supporter depuis un demi-siècle. David contre Goliath, l’histoire perdure depuis qu’en 1912, pour contrecarrer l’influence des mouvements de jeunesse cathos, une poignée d’instituteurs de gauche crée un patronage laïc aux couleurs rouge et noir. Une petite structure omnisport avec éducation aux valeurs du socialisme, activité physique et colonie de vacances pour les gamins d’ouvriers. « Nos familles n’avaient pas de voiture, se souvient Jean-Paul Briand, président de l’association de l’En Avant, c’était notre seule occasion de partir sur le littoral et de ne pas rester à traîner dans les rues. » On est encore loin alors de la montée en première division de 1995, des déplacements en avion pour affronter les grands du foot européen et des exploits au Parc des Princes. Mais ici personne n’a oublié d’où vient la potion magique. Lorsque dans les années 1970, les gamins de la colo de sport, devenus ouvriers, employés des postes ou des usines locales faisaient déjà mordre la poussière aux métropoles régionales. A ce stade Guingamp et sa nuée de supporters venus des campagnes avoisinantes aurait pu rester une curiosité régionale vite oubliée. C’était sans compter sur les talents d’un jeune vendeur de machines à laver du Pays de Guingamp, nommé Noël Le Graët.

 Noël Le Graët, papa Noël

En juin dernier, Noël Le Graët devenait, à 70 ans, le grand patron du foot français. Sa mission : sauver le football hexagonal toujours malade de son fiasco sud-africain. L’homme a souvent multiplié les casquettes, mais n’a toujours eu qu’un seul maillot, celui de Guingamp. Car, avant de devenir le patron d’une holding de 170 millions d’euros, avant d’occuper les plus hautes fonctions du football français, « Noël », comme on l’appelle ici, a d’abord été un gosse d’ouvrier qui tapait dans le ballon avec ses copains de la colo laïque. « En trente ans à la tête du club de Guingamp et deux mandats de maire de la ville, il s’est imposé comme la figure du bienfaiteur », explique Michel Le Boulanger, historien et auteur de plusieurs livres sur l’En Avant de Guingamp. Arrivé en 1973, à la présidence du club, Noël Le Graët lui a fait gravir tous les échelons. Lancé dans l’industrie de produits surgelés. Avec ses convictions et son entregent, il parvient à fédérer une constellation de PME locales autour du club. « Quand d’autres s’inféodent à une enseigne nationale ou à une firme internationale, nous on a diversifié nos appuis autour d’entreprises du coin ». explique-t-on au sein de l’En Avant.

Les paysans sont de retour

Lorsque le petit bourg costarmoricain voit ses meilleurs éléments pillés par les grandes équipes, Le Graët s’arrange pour faire passer son club professionnel. Plus tard, alors que la ville vit des heures difficiles avec la fermeture des usines Alcatel, il fait construire un stade XXL en centre-ville. Les retombées économiques sont directes. Guingamp intrigue, Le Graët détonne. Lors de l’affaire OM-VA, alors président de la Ligue, il expédie Marseille en deuxième division. Bernard Tapie fulmine. Ces deux-là se détestent. La gauche terroir contre la gauche bling-bling… Et puis Guingamp va marcher sur les eaux. Après sa montée en première division et une épopée en Coupe de France, la ville défraye la chronique avec un tandem de choc. La France découvre les étoiles montantes, Didier Drogba et Florent Malouda, une génération « black and breizh » qui tient tête aux meilleures équipes. Difficile d’imaginer aujourd’hui ces deux stars qui palpent désormais en Angleterre plusieurs dizaines de millions d’euros, scander en chœur avec les Guingampais : «Les paysans sont de retour ».
Aujourd’hui les stars sont parties. En L2, le club accuse des résultats en dents de scie. Mais l’école de foot du club compte près de 300 licenciés qui, dès cinq ans, enfilent les crampons pour marcher dans les pas de leurs aînés. Les maillots floqués au nom des idoles continuent d’essaimer dans les cours d’école de Guingamp. Dans les bars, à l’heure de l’apéro tout le monde vous dira qu’il connaît quelqu’un qui tapait sur l’épaule de la star Didier Drogba, comme un ami. Vaille que vaille, la bourgade a réussi à conserver une desserte de TGV qui lui est vitale. Mais Guingamp, qui a fait du foot une quasi-monoculture, vit au gré des résultats de son équipe. Le couperet d’une redescente dans le bas des tableaux sportifs et c’est la menace de voir la ville et sa population reléguées à leur tour. Peu importe, ce soir à Guingamp le stade sera encore plein à craquer.

 

Par Manuel Vicuña

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