11 décembre 2018
Les nomades, enfermés eux aussi / Mémorial de la Shoah

S’il est impossible d’ignorer l’internement des juifs français pendant la Seconde Guerre mondiale -entre films comme La rafle ou moults livres, plus de 6 500 personnes, dont un grand nombre d’enfants, en majorité français, ont été aussi internés dans plus d’une trentaine de camps pour nomades entre octobre 1940 et 1946. L’exposition L’internement des Nomades, une histoire Française (1940-1946), actuellement au Mémorial de la Shoah, fait le point sur cette énième page sombre de l’ histoire de notre pays. Une troisième exposition revenant sur les génocides du XXème siècle et qui fait suite à Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi ou encore Le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman, avec un mot d’ordre commun à tous ces actes barbares:  stigmatiser, détruire, exclure.

L’exposition se divise en deux parties, la première fait la chronologie de l’histoire de ces populations « apatrides, asociales, voleuses d’enfants, porteuses de maladies » dont l’image se dégrade progressivement au cours du XIXe siècle. De nombreux préjugés infondés sont diffusés au travers de la presse, on retrouve même un cinglant exemple de cette xénophobie dans un tome de la bande-dessinée Bécassine présenté par le mémorial. L’incompréhension et la méfiance vis-à-vis de ces familles dites « bohémiennes » s’enracinent chez les Français et bientôt l’Etat s’organise : dénombrement, carnet anthropométrique, contrôle systématique de leurs déplacements, création de statuts spécifiques contraignants en 1912… L’exposition montre comment dès la Première Guerre mondiale, une première expérience d’internement est expérimentée sur des « Alsaciens-Lorrains romanichels » soupçonnés d’espionnage.

La France, responsable mais pas coupable

Quand arrive la Seconde Guerre mondiale, leur sort ne fait qu’empirer; perçus comme une menace à la sécurité nationale, un décret interdit dès avril 1940 leur circulation sur l’ensemble du territoire. Vient ensuite le temps de l’internement dans les camps, d’abord en zone occupée, puis en zone libre, sous Vichy. Enfermés, spoliés, contraints aux travaux forcés, maintenus dans des conditions de vie misérable (comme en témoignent les documents d’archives présentés) les plus malchanceux seront déportés. La deuxième partie de l’exposition se focalise, au moyen de photos, dessins et lettres, sur la vie de ses victimes dans les camps d’internement français tels que Mérignac Beaudésert en Gironde, Linas-Montlhéry en Essonne, Montreuil-Bellay en Maine-et-Loire ou encore Jargeau dans le Loiret. Bien après la fin de la guerre, le dernier interné nomade sortira le 1er juin 1946. Il faut attendre le 29 octobre 2016, soixante dix ans plus tard, pour que François Hollande, alors président, déclare « La République reconnaît que sa responsabilité est grande dans ce drame. ».

Si le sujet de l’exposition est brillamment traité, rendant une histoire complexe facilement intelligible à l’aide d’un contenu dense, la forme manque peut-être un peu d’originalité, inutile de venir avec ses enfants tant il faut lire, les textes des salles, puis les nombreux documents d’archives, témoignages et lettres qui se révèlent très touchants dans ce qu’ils racontent de la souffrance vécue par ses populations nomades. Puissante, l’exposition rappelle à la mémoire commune les crimes longtemps inavoués de la République. Trop libres, trop différents, pour celles et ceux qui souhaitent vivre différemment, les difficultés sont immenses. Voilà une vérité qui n’a guère changé.

Par Loris Ternynck

L’internement des Nomades, une histoire Française (1940-1946), jusqu’au 17 mars 2019 au Mémorial de la Shoah à Paris.

Une scénographie qui frôle un peu l’overdose

 

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