12 février 2019
Les Invisibles, après le film, le livre. S’il n’est pas question ici de femmes « déclassées », devenues SDF après un « accident de la vie », Salomé Berlioux, jeune, jolie et brillante illustration de ce que l’on peut apprendre à Sciences Po( elle est devenue la plume de Jean-Marc Ayrault) sort en ce début d’année très « jaune » un ouvrage avec Erkki Maillard sur ces 60 % de jeunes qui vivent dans ce que l’on appelle la France rurale. Décrite avec talent par le géographe Christophe Guilluy dans La France périphérique (Flammarion, 2014) , elle est devenue le symbole d’une France oubliée où tous souffrent, a fortiori les jeunes qui y grandissent. Dans les petits chemins creux ou à côté des ronds-points, nul ascenseur social; habitant des villages, petites villes où villes moyennes, ils sont comme « assignés à résidence » et condamnés au « sur place » car privés de tout: de l’entregent, de l’information-revoilà le problème des « zones blanches »- ou encore de transports collectifs. Autant d’handicaps qui font d’eux des « Mozart qu’on assassine » comme dirait Saint Exupéry.
Le constat n’est pas nouveau; Anne Nivat, journaliste au Point, avait publié dès 2017 Dans quelle France on vit tandis que les travaux d’Hervé Le Bras, auteur de La France inégale s’étaient déjà penchés sur cette exclusion de facto; Raymond Depardon sillonant la France avait également donné à voir ces « Invisibles », loin des grands métropoles.
Ici c’est Gaëlle, Julien, Pauline, Aurélie ou encore Pierre qui incarnent les difficultés et l’autocensure qui règnent au sein de la jeunesse périphérique; des monographies denses et vivantes qui permettent au fil des pages de saisir leurs trajectoires faites de renoncements et de frustrations.
Macron, le sauveur?
Au constat, s’ajoute ensuite des solutions que les deux auteurs déclinent à travers l’ Association Chemins d’avenirs qu’ils ont créé, décrivant avec précision comment ils réussissent à retourner des situations qui semblaient définitivement bloquées; autant de destinées enfermées dans l’ennui et le manque d’ambition qui, grâce à leur intervention changent de direction. On applaudit jusqu’à ce que le discours devienne un peu propagandiste lorsque les auteurs se piquent de donner dans la politique: « avec l’élection d’Emmanuel Macron la France a su échapper à la chute politique dans l’inconnu qu’ont constitué les votes protestataires »– sic, tandis que quelques pages plus tard, on peut lire que « l’idée de mobilité était très présente dans le discours d’Emmanuel Macron pendant sa campagne. Elle le reste après son élection. Elle revient en nombre dans ses discours avec son corollaire : l’émancipation…Ces propos rejoignent notre conviction profonde ».
Bref, en ville « traversez la rue », à la campagne « traversez la route »? Il n’est pas sûr que les enfants de gilets jaunes n’adhèrent à cette « conviction » pas plus les jeunes d’Autun qui ont du écouter des heures durant le « Questions pour un champion » du candidat Macron…
Ainsi en est-il un peu comme pour l’immigration en provenance de l’Afrique subsaharienne; si les meilleurs partent en Europe, ils se sauveront eux-mêmes ainsi que leur famille mais priveront en même temps leurs pays et leurs territoires du talent des mieux formés d’entre eux et de fait, aggraver un peu plus le sort de ceux qui restent..les rendant encore plus » invisibles ».
De fait, poser les questions de l’aménagement du territoire et du renforcement des services publics dans cette France périphérique n’aurait ainsi pas été inutile, sans oublier de se demander si Jupiter pourrait avoir envie un jour de faire quelque chose pour « ceux qui ne sont rien »…
par Amadys de Gaule
Les Invisibles de la République/Comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique, de Salomé Berlioux et Erkki Maillard. Ed Robert Laffont 20€