28 mai 2012
Bernard Magrez/ Le solide accompagnateur

Que ce soit pour ses vignes ou « ses » artistes, Bernard Magrez est « là ». Rien à voir avec ces grands propriétaires ou mécènes pas vraiment incarnés qui chargent les autres de gérer ou de compléter leur collection. Avec un CAP de scieur de bois et des cours du soir de comptabilité, cet homme élégant de 76 ans qui a arrêté l’école à 16 ans ne s’est jamais raconté d’histoires. La vie serait dure et seule condition pour s’en sortir, « jamais renoncer ». C’est le nom de l’un de ses vignobles-il en possède une quarantaine dans huit pays; c’est aussi sa devise, depuis toujours et pour laquelle, il a sollicité des artistes-lui qui aime par dessus tout le « contact »- afin de leur offrir les moyens de faire leur métier. Le Château Pape Clément, désormais enserré dans la ville de Pessac, est son grand cru le plus connu et c’est dans un des salons de réception du Château qu’il répond à nos questions, semblant rompu à l’exercice mais l’oeil toujours vif de ceux qui restent toujours prêts à saisir au bond ce que la vie peut leur apporter.

Comment êtes vous venu au mécénat?

Il y a une trentaine d’années, j’ai commencé une collection de bronzes animaliers du 19 ème siècle;  je suis alors allé dans les musées me faire l’oeil, j’ai lu,  j’ai acheté. Et comme tous les gens qui collectionnent au début j’ai acheté du mauvais! Ensuite, j’ai fait une collection de peintures flamandes-fruits puis fleurs avant de connaitre Bernard Buffet qui m’a ouvert à l’art contemporain. Ça a été le début du chemin; ça va vite alors, les galeristes importants vous font connaitre les artistes importants.

Rassurez-moi, l’art n’est pas que du marketing?

Non, mais on peut très bien rester inconnu avec beaucoup de talent! Je le vois avec beaucoup d’artistes qui m’envoient leur dossier; certains ont une sensibilité extraordinaire, cela me fait de la peine de voir qu’ils ne percent pas. Au travers de deux ou trois heures passées avec eux, je vois leur passion, leur approche de la vie; ceux-là, il m’arrive de leur passer une commande sur ce fameux « jamais renoncer ».

Vous avez été tenté de le faire?

Vous savez en cinquante ans d’entreprise, la mer n’a pas toujours été haute! Il y a eu des marées basses…Mais lorsque vous vous forcez dès le début à ne pas renoncer, après ça vient presque tout seul! Vous vous auto-condamnez en lâchant.

Pourquoi cet intérêt pour l’art vivant?

J’aime les auteurs contemporains, pour moi, les écouter comme Claude Lévêque, savoir comment ils voient la vie est capital. Non seulement c’est enrichissant mais en parlant avec eux,  on comprend mieux ce qu’ils ont voulu dire. Dans le contemporain, chacun peut avoir sa propre approche, c’est cela qui est formidable. Comment le lien peut se faire entre une oeuvre et vous, entrer en résonance.

Comment voyez-vous cette spéculation autour des artistes contemporains?

Mais elle n’existe que pour 20 à 30 artistes! Certains achètent pour revendre, poussent avec leur notoriété mais moi, je ne vend pas, même si j’ai fait des erreurs. J’aime même voir là où je me suis trompé! Il y a aussi des faux-je suis sûr qu’il y a en a dans ma collection.

Si vous ne pouviez sauver qu’une oeuvre de votre collection, ce serait laquelle?

Il y en a plusieurs, ça me gêne de n’en citer qu’une. Avec mon passé d’amateurs de bronze, la sculpture de Vaillant m’a marqué. Quant à un artiste qui me touche particulièrement, c’est Martial Raysse; nous avons le même âge et dans toutes ses oeuvres, le « coeur » est là, c’est l’homme qui me plait avant tout. Il me tarde de voir ce qu’il va présenter à Pompidou en juillet prochain.

Vous achetez également des oeuvres au cours de vos voyages d’affaire?

Je pars demain pour Vinexpo à Hong Kong et j’ai une liste prête de cinq ou six galeries; il me tarde de voir ce qu’elles ont. Et puis, j’aime me rendre à Venise, aller-retour dans la journée ( en avion privé) où j’aime emmener les artistes que nous avons en résidence lorsqu’ils sont en mal d’inspiration. C’est une espèce de nécessité. J’aime l’atmosphère de cette ville, on y voit tout différemment. Maintenant, j’ai un métier donc je dois avant tout m’occuper de mes affaires.

Comment s’est imposé le fait d’avoir un espace dédié à votre fondation?

J’ai eu de la chance dans ma vie; à un moment il faut redonner. Ce local, enfin ce château, était libre, alors j’ai décidé d’y accueillir des artistes pour qu’ils puissent y travailler.

Et le vin, c’est de l’art pour vous?

Le vin est un produit culturel, il y de la création dans le vin; maintenant, si dans l’ art, l’homme est libre de sa création, le vigneron, lui, est tributaire du temps, des maladies. Il y a plein de choses que l’on ne contrôle pas. C’est un travail  hypothéqué, pas comme celui de l’ artiste qui ne dépend que de l’inspiration. Reste que le travail compte autant pour les deux.

Pourquoi avoir multiplié les vignobles?

Car il est important d’ offrir une large gamme, avec des terroirs différents et des typicités différentes. Avec mon nom je garantis une qualité, sachant que les gens demandent de plus en plus de choses différentes. En plus, les gens veulent me voir vu que l’entreprise est lié à mon nom. Les gens achètent aujourd’hui de plus en plus malin, l’étiquette ne suffit plus même si dans les pays émergents, l’image compte beaucoup. Avant tout, il est important de voir ce que les autres n’ont pas encore vu, avoir un coup d’avance sur ce que le consommateur dans cinq ou huit ans va vouloir.

Son portable sonne alors. « Je suis obligé de prendre » s’excuse- t’il. « Dites ok, à terme ça nous arrangera » dit-il à son interlocuteur, confirmant une pratique de la  stratégie en permanence.

Vous savez, j’en ai vu du monde dans ma vie, et tous ceux qui ont réussi « fort » étaient des hommes capables de trouver un chemin qui n’était pas celui des autres, mais un vrai chemin. Le chemin gagnant. Même si c’était dix ans, quinze ans plus tard, c’est pour cela qu’il ne faut jamais renoncer.

« Jamais renoncer », la devise encore et toujours pour cet homme qui se dit « malade de la conquête », ne se reposant jamais sur les acquis au point qu’elle pourrait aussi être « Jamais assez ». Puis, il s’inquiète de savoir si mon enregistreur a bien fonctionné, sans doute ce côté « humain » qui ne le quitte jamais…

 

Par Laetitia Monsacré

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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