6 avril 2012
La tradition dans la fleur de l’âge

Comme le dit l’adage, il n’est jamais trop tard pour commencer : à 81 ans, Otto Schenk fait ses débuts sur la scène du Grand-Théâtre de Genève avec Le Chevalier à la Rose. Célébrées du Met à l’Opéra de Vienne, les mises en scènes du régisseur autrichien se reconnaissent par une élégance et un respect de la littéralité des œuvres qui passent aisément pour daté. Il faut dire que la production importée de Munich par la maison genevoise fête ses quarante ans – un âge canonique pour un spectacle opéra ! Ce qui pouvait présager de décors poussiéreux et d’une direction d’acteurs proche de la momification, et qui, au final, a fort heureusement surpris.

Un kitsch en phase avec l’opéra de Strauss

Reconnaissons que Le Chevalier à la rose se prête assez bien à un certain kitsch. Fruit de la collaboration entre Richard Strauss et Hugo von Hoffmannsthal, créé en 1911 – tiens, presqu’un anniversaire… –, il narre les amours d’un jeune homme, Octavian, le Chevalier à la rose, amant de la Maréchale, d’une dizaine d’années son aînée, qui s’effacera au profit de la jeune Sophie von Faninal, initialement promise par son père au vulgaire et libidineux baron Ochs. La musique de Strauss, tout entière variation sur la valse, distille à merveille la mélancolie face au temps qui passe, inexorable, et que le personnage de la Maréchale condense remarquablement.

Otto Schenk ne cherche pas à transposer l’intrigue hors du XVIII ème siècle finissant où elle se déroule. La chambre de la Maréchale est ainsi recouverte de fresques bucoliques à la Watteau, tandis que l’on se régale des porcelaines exposées dans le salon de Faninal, véritable débauche de Rococo, inspirée par celui du pavillon d’Amalienburg au château de Nymphenburg – à Munich. Contrairement à Herbert Wernicke deux décennies plus tard à Salzbourg et à l’Opéra de Paris, Otto Schenk n’affadit pas le côté populeux de l’auberge du troisième acte où Ochs donne rendez-vous à Mariandel – Octavian travesti en femme de chambre – et le jeu de lumières convainc par son évidence.

Une leçon de théâtre

Le metteur en scène autrichien – également comédien – a tenu à régler cette reprise, et l’on se réjouit de voir les chanteurs investir leurs rôles, usant des mimiques d’expression pour créer une complicité avec le public – dans le plus pur esprit de la comédie – quand bien même l’on pourrait préférer des plastiques plus avantageuses. Avec un medium charnu et douée d’une vélocité d’élocution héritée de ses travestis baroques, Alice Coote incarne un Octavian plus percutant qu’authentiquement juvénile. La jeunesse justement, c’est dans la Sophie de porcelaine de Kerstin Avemo qu’il faut la chercher. La soprano suédoise minaude avec un air d’affectation propre aux jouvencelles qui veulent se donner un air de maturité désabusée et que son timbre corsé – plus que les voix diaphanes habituellement distribuée dans ce rôle – confirme de manière délectable. La palme de la distinction revient tout naturellement à la Maréchale toute de fière pudeur, de fermeté et de résignation que Soile Isokoski compose pour le ravissement de nos oreilles. Quant au baron Ochs – dont le nom signifie bœuf en allemand, au sens propre comme au figuré – Alfred Reiter lui épargne le graveleux vocal où on le confine parfois, au prix d’une certaine réserve dans le volume sonore, rehaussant le Faninal de Lionel Lhote.

Les forces de l’Orchestre de la Suisse Romande, placées sous le bâton de Niksa Bareza, n’ont peut-être pas le sens du fondu du Philharmonique de Vienne, sans doute dépositaire de l’élégance un peu sirupeuse de cette musique. Mais le chef croate compense intelligemment avec une attention aux détails qui favorise la caractérisation théâtrale. Une excellente soirée au Grand-Théâtre de Genève, et une efficace preuve que la modernité ne réside pas toujours où on l’y attend…

Par Gilles Charlassier

 

Théâtre de Genève du 29 mars au 12 avril 2012

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