14 janvier 2016

Il est presque quinze heures ce mercredi de janvier. Je suis sur le quai de la gare de Caen pour l’Intercités vers Paris. Arrivée une heure cinquante plus tard. Je monte dans l’une des deux voitures de première, en tête : entre les octogénaires catarrheux et les marmots braillards, il faut choisir, même si maintenant payer plus ne garantit rien. Les appuis-tête ont été retirés – trop de travail d’entretien sans doute, même s’ils ne sont jamais lavés et que notre capillarité a toujours l’occasion de cohabiter avec des cheveux clandestins d’un passager précédent. La rame n’est pas trop chargée, j’aurai le loisir de m’étaler sur deux sièges, et sans doute travailler un peu. 14H54, le train, en provenance de Cherbourg, s’ébroue et s’élance, sans arrêt intermédiaire, vers sa destination finale. Mézidon, Lisieux, les étapes défilent, à la vitesse commerciale consacrée. Un léger ralentissement se fait sentir, la locomotive décélère encore davantage à l’orée d’une gare. Elle tombe en berne à Bernay. Le convoi s’arrête.

Le haut-parleur transmet le message du contrôleur : « Notre train est arrêté pour cinq minutes ». Six cent secondes ont dû s’écouler. « Notre train est encore arrêté pour plusieurs minutes. Ceux qui souhaitent fumer une clope ou se dégourdir les jambes peuvent sortir sur le quai, mais ne doivent pas s’éloigner trop : notre train va repartir bientôt ». Les aiguilles ont déjà passé quatre heures, on finit par savoir que le compresseur de la locomotive est en panne, et que l’on attend un dépannage. Une locomotive de secours va nous être envoyée pour nous tracter jusqu’à Paris. Les lumières et le chauffage qui s’étaient éteint vient heureusement de se remettre en service. Des voyageurs se parlent, certains ont pris l’air. Un calme étonnant règne, sans l’ombre d’une rébellion. Le micro demande « aux agents SNCF présents dans le train de se faire connaître ». Les correspondances sont  relevées. On regarde sur les I-phones le retard estimé : deux heures, quand le train suivant, qui part de Caen à 17 heures 07 est supprimé. Une voix propose une quatrième place en taxi à 75 euros – soit deux fois le prix d’un Bernay-Paris en train en première. Autour de moi, un mutisme en guise de réponse : les voyageurs de première ne sont sans doute pas pressés.

Le soleil continue de décliner, et bientôt les lampadaires s’allument, tandis que la nuit, que je pensais précéder à Saint-Lazare, finira par envelopper la bourgade normande non prévue par l’indicateur horaire. Il est maintenant plus de 17 heures, et l’on apprend que la locomotive en provenance de Caen va arriver, tandis que les passagers qui ont une correspondance sur un vol au départ de Roissy sont invités à se faire connaître – une voiture va sans doute les conduire. Des bouteilles sont offertes pour combler la déshydratation de l’attente. On voit une locomotive nous doubler par la droite. Elle va rejoindre un aiguillage et se mettre en position d’escorte. Départ prévu à 18 heures, qui finalement se fera près de trente minutes plus tard. L’arrêt inopiné est enfin terminé. Comme prévu, le train sera sans arrêt à Evreux, et ce sera le suivant qui s’en chargera, récupérant les naufragés de l’Intercités supprimé.

20 heures. Ce n’est pas l’heure du JT, mais celle de notre arrivée, avec trois heures neuf de retard. Des enveloppes pour la compensation nous attendent, tandis qu’une boîte repas est distribuée – bouteille d’eau, biscuits secs, salade de thon industrielle surassaisonnée, compote à sucer et fraises tagada. A défaut de ponctualité, la SNCF essaie de singer la gastronomie. Ceux qui ont raté leur dernier train de correspondance seront hébergés dans un hôtel agréé par la compagnie ferroviaire, quand les parisiens peuvent rentrer chez eux – il est trop tard pour aller au Théâtre des Champs Elysées – avec le souvenir d’avoir, le temps d’un après-midi goûter aux temps des diligences. Avec la SNCF, on a toujours une longueur d’avance sur le passé.

Par Gilles Charlassier

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