1 juin 2023
La magie franco-britannique du Midsummer Festival à Hardelot

Témoignage des liens millénaires, longtemps conflictuels, entre la France et l’Angleterre, dans la région la plus proche des côtes britanniques, le Château d’Hardelot, qui a connu un destin romanesque et fut reconstruit, au XIXe siècle, façon manoir au style néo-Tudor non dénué d’extravagance, est depuis 2009 le siège du Centre culturel de l’Entente cordiale – du nom du traité en 1904 qui scella l’amitié entre les deux nations, après des siècles de rivalités. Sébastien Mahieuxe a eu l’idée d’y créer un rendez-vous de musique baroque qui unisse les deux pays à l’heure du solstice d’été, le Midsummer Festival. Avec le théâtre élisabéthain inauguré en 2016, le festival au nom inspiré par une pièce de Shakespeare, possède désormais un écrin idéal pour célébrer ce dialogue franco-anglais, que l’édition 2023 affirme non sans s’amuser de quelques clins d’oeils avec l’actualité.

De belles redécouvertes anglais en ouverture

C’est ainsi que le concert d’ouverture, vendredi 23 juin, fait écho au récent couronnement de Charles III, avec un programme de musique sacrée à la cour de Charles II, le roi qui restaura la monarchie au XVIIème siècle après la République de Cromwell. Durant son exil à la cour de France, il s’est imprégné de pratiques musicales à la chapelle royale qui participent du rayonnement diplomatique, et où le politique et le religieux se rejoignent. Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances font revivre tout un pan de répertoire où le grand motet versaillais et le symphony anthem se répondent, et ouvrent le dialogue avec un opus d’Henry Du Mont, Confitebimur tibi. Dans ce prototype d’un genre qui sera une référence pour l’office royal pendant plus d’un siècle, l’alternance entre séquences solistes et chorales s’appuie sur une mise en valeur presque théâtrale des versets que les pupitres de Correspondances font respirer avec une souplesse noble mais jamais affectée. On retrouve cette saveur française dans un autre avatar méconnu du Grand Siècle français, Nolite me considerate de Pierre Robert.

Mais c’est indéniablement le pendant anglican qui est d’abord mis à l’honneur dans cette soirée. Si la magnificence de O sing unto the Lord de Blow fait rayonner une piété enthousiaste, scandée par des chorus que soutient une orchestration brillante, reconnaissable dans le plus condensé I will hearken et magistralement développée dans My heart is inditing de Purcell, façonné de contrastes expressifs, ce sont les pièces de Pelham Hymphrey qui constituent la plus belle découverte du programme. Mort prématurément à 27 ans, le compositeur anglais, qui a fait ses armes en France, où il s’est également fait remarquer par son insolence et son extravagance, n’en a pas moins laissé une empreinte importante dans l’évolution de la musique anglaise. Avec une construction ternaire qui ménage une admirable progression vers la péroraison finale, soulignée par le choeur, O Lord my God, comme I will always give thanks unto the Lord, dévoile un bel instinct de l’architecture sonore. Face à cette générosité de couleurs, le solo pour alto et basse continue Lord I have sinned saisit par une concentration irradiante de fervent repentir, redoublée par la reprise intégrale du psaume avec un continuo élargie. Sébastien Daucé et ses musiciens défendent fort bien ce maître méconnu de la rhétorique liturgique au sein d’un concert habilement conçu qui, après suggestion du chef, s’est passé de l’entracte prévu.

La magnificence de Haendel

Le lendemain, le théâtre élisabéthain accueille le retour attendu d’un ensemble anglais, après la crise du covid et du Brexit. Sous la direction de Jonathan Cohen, les pupitres d’Arcangelo font resplendir trois des onze Anthems que Haendel écrivit pour le duc de Chandos dont le château de Cannons fut l’une des demeures les plus somptueuses jamais construites en Europe et où la vie artistique était à la hauteur de cette splendeur décrite par les gens de lettres de l’époque, à l’instar de Defoe. Le quatrième, O sing unto the Lord, qui ouvre la soirée, révèle d’emblée une plénitude sonore témoignant de la maîtrise du style et que le prolongement instrumental avec la Sonate en sol mineur HWV 404 ne démentira pas. Ces qualités se retrouvent dans le deuxième appariement, associant le troisième anthem, Have mercy upon me avec la plus chambriste Sonate en sol mineur HWV 390, avant la majestueuse conclusion par le sixième anthem, As pants the hart. L’homogénéité évidente des grandes introductions orchestrales soutient les personnalités des solistes, parmi lesquelles se distingue la soprano Hilary Cronin, dont l’éclat pur et aéré, dans la lignée d’une Arleen Auger, sert idéalement la sensibilité haendélienne. Le métier ne fait pas défaut à la seconde soprano, Deborah Cachet, tandis que les deux voix masculines aiguës, Sam Boden, plus de type haute-contre, et Matthew Long, d’une robustesse plus nette, se montrent complémentaires, comme les deux basses, Raoul Steffani et William Gaunt.

L’irrésistible Trio Musica Humana

Mais les réjouissances musicales du samedi ont commencé dès l’après-midi, avec l’irrésistible Trio Musica Humana. Accompagné par Elisabeth Geiger au muselaar, variante flamande du virginal à deux claviers qui captera la curiosité du public de la chapelle, les trois chanteurs font redécouvrir la Messe à trois voix de Byrd, page conçue pour la clandestinité du rite catholique à l’époque élisabéthaine dont les mouvements sont entrelacés de motets et chansons profanes, dans une réinvention ingénieuse des offices intimes et domestiques pour lesquels cette liturgie était écrite. Emmenés par la faconde communicative d’Igor Bouin et que ses deux comparses ne boudent pas, le trio redonne une vie inattendue à un répertoire qui pourrait tomber dans l’austérité. C’est d’ailleurs dans ce même esprit de complicité avec le public que l’ensemble propose un after sous le crépuscule d’été dans la cour du château. Sur des transats, les auditeurs sont invités, en bis, à, reprendre l’une des chansons de l’époque de François Ier. Par l’alchimie des notes et d’un cadre idyllique dans une convivialité idéale pour lever les barrières, le Midsummer Festival d’Hardelot résonne un peu comme le début du bonheur, et ce n’est pas le second week-end, davantage tourné vers l’opéra, qui le démentira. Au contraire…

Par Gilles Charlassier

Midsummer Festival, Château d’Hardelot, concerts des 23 et 24 juin 2023. Jusqu’au 1er juillet 2023.

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