Benjamin R. Ford est en colère. En route pour se rendre au mariage de sa fille à Los Angeles, le voilà bloqué dans un aéroport de Chicago, soi-disant pour des raisons météorologiques, vraisemblablement pour du surbooking. Huit heures où il va attendre le dos coincé dans un fauteuil pour handicapés-il ne restait plus que cela-et en profiter pour écrire. Ce qui commence comme une lettre de réclamation pour se faire rembourser son billet va devenir le prétexte de revenir sur sa vie, l’histoire de ses parents, de leur rencontre grâce à un opposum réfugié dans le grenier et de sa lente dérive à lui dans l’alcool –« à la Nouvelle Orléans, mourir d’une cirrhose du foie étant considéré comme une cause naturelle de décès ». Voilà qui lui coûtera son mariage et sa fille. Car, cette fille qui se marie là-bas avec une autre femme est pour lui une étrangère qu’il n’a pas revu depuis l’âge de 3 ans. Les vies des personnages de cet auteur américain qui signe ici son premier livre, sont vous l’aurez compris le plus souvent en miettes, avec des trajectoires plutôt sombres. Mais comme rire fait toujours du bien « une rasade d’huile sur les gonds rouillés de nos charnières » c’est avec un humour décapant que l’auteur nous raconte les périodes de descentes aux enfers ou de rémissions de son héros lorsque » le concept de suicide me devint aussi étranger que le désir de grossir les rangs d’une association humanitaire au Cambodge ». Qui d’entre nous ne se reconnaîtra-t’il pas ainsi dans « un beau matin, vous regardez dans le miroir et vous vous dites: cette tête-là, cette vie là n’était pas prévue au programme »? En attendant, Bennie va faire dans cet aéroport des rencontres comme « Biquette en sucre », une petite dame comme il faut avec une machine à sous portable dans sa poche, lire le livre qu’il a emporté dans ses valises, l’histoire d’un polonais qui a perdu ses jambes dans un tir d’obus, et raconter, raconter riant lui même de sa démarche: » à l’évidence, j’aurai du devenir une écrivain russe: je ne sais même pas rédiger une putain de lettre de réclamation sans fournir ma généalogie détaillée. « Ce qui est sûr en tous cas, c’est que peu de compagnies aériennes recevront un jour de celle-là, la littérature ayant peu de chose à voir avec la société de consommation…Voilà en tous cas un livre, un vrai livre et un auteur, un vrai.
LM
Dear American Airlines de Jonathan Miles- collection Les Affranchis -NIL-18 euros