Rousseau est à l’honneur en ce début de saison à Genève. Né dans la cité suisse il y a tout juste trois cents ans, la vie agitée du célèbre écrivain, également auteur d’une bluette lyrique à succès, Le Devin de village, a inspiré au prolifique Philippe Fénelon un opéra, commandé par le Grand-Théâtre de Genève. Grand soir donc au Bâtiment des Forces Motrices, entrepôt industriel à cheval sur le Rhône reconverti en salle de spectacles, avec son large quota de directeurs d’opéras et de journalistes francophones, sans parvenir toutefois à remplir la salle de manière exhaustive.
Rousseau écologiste
Les lumières ne sont pas encore éteintes que l’on entend le bâton d’un pèlerin d’âge mûr, c’est Jean-Jacques Rousseau, ou plus exactement JJR 3, l’un des trois avatars du philosophe, au soir de sa vie – aux côtés de JJR 1 l’adolescent et JJR 2 le jeune adulte de vingt-six ans. Le vieil homme harangue la foule, reprenant la condamnation du théâtre de son Discours sur les sciences et les arts. En huit scènes thématiques – la nature, Dieu, etc.– , le livret de Tim Burton balaie la pensée de Rousseau à la façon d’une synthèse pédagogique, en l’animant avec les personnages clefs de sa vie et de son époque – Voltaire, Diderot, Sade, Madame de Warens, sa femme Thérèse Levasseur.
Si plus d’un passage cite textuellement les ouvrages du penseur, d’autres extrapolent en actualisant ses opinions, l’instituant défenseur de la cause écologique. Avec un décor unique qui tient en une rampe recouverte de pelouse et avec le vert pour matrice des éclairages, les intentions de la mise en scène de Robert Carsen se passent d’interprétation. Certes, les prémices de l’écologie se trouvent effectivement dans ses écrits, mais une telle mise au goût du jour présente surtout l’avantage du politiquement correct. L’épilogue brechtien scandant une marche révolutionnaire ne le démentira pas.
Un exercice réussi
Grand connaisseur du répertoire, Philippe Fénelon parsème sa partition d’échos, pastiches et parodies, dont la huitième scène, consacrée à la musique, offre un savoureux condensé. Si l’énumération des genres et des styles s’avère plus laborieuse que dans le Capriccio de Strauss redonné en ce moment sur la scène de Garnier, on se délecte heureusement de la réorchestration éthérée de la danse des Sauvages des Indes Galantes de Rameau, que l’on jurerait être de la plume de Webern – sans les lunettes. Ces trouvailles consolent d’une prosodie bancale et condimentent ce « divertissement philosophique » d’une heure cinquante joué sans entracte, mais n’ajoute guère de saveur dramatique à un argument platement didactique.
Même servie par des interprètres talentueux – en particulier le ténor Rodolphe Briand en philosophe âgé et le baryton Edwin Crossley-Mercer, excellent JJR 2 qui prend aisément l’ascendant sur l’acide Rousseau adolescent de Jonathan De Ceuster – et la direction attentive de Jean Deroyer à la tête de l’ensemble Contrechamps, cette création ne recueille que des applaudissements bien tièdes, saluant un exercice de circonstance plutôt réussi. Mais ce n’est qu’un exercice…
Par Gilles Charlassier
JJR de Philippe Fénelon, jusqu’au 24 septembre 2012, au Grand-Théâtre de Genève