Monsieur le Président,
Me permettez vous dans la circonstance qui a fait de moi une de vos électrices il y a 19 mois, ayant eu néanmoins le privilège à la faveur d’un dimanche à la campagne que mon cher kiosquier ne mette le bulletin à ma place, de vous dire que votre stature de Président, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçables des taches?
Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les coeurs. Elu démocratiquement par un peu plus d’un Français sur deux, vous avez incarné une France En marche, jeune, dynamique, ô combien séduisante dans sa promesse de renouveau et de réformes, rompant avec l’éternel clivage entre ceux qui face à l’injustice disent que l’on ne peut rien y faire et ceux qui disent que l’on doit lutter contre celle-ci. Loin des dinosaures politiciens, vous avez promis une France nouvelle, plus forte plus juste comme l’ont fait tous vos prédécesseurs pour atteindre la plus haute fonction mais avec le charme propre à ceux qui ne doutent de rien; ni d’eux-mêmes ni de leurs soutiens.
Mais quelle tache de boue sur votre nom-j’allais dire sur votre règne-que cette abominable affaire des Gilets jaunes! Un débat national vient enfin de s’instaurer après deux mois et demi de silence. Moins d’un mois après vous être recueilli sur la tombe du soldat inconnu, celle-ci a été vandalisée, l’Arc de Triomphe profané en l’absence de toute protection policière, plus mobilisée pour défendre les magasins de l’avenue qui compte le vaisseau amiral de votre grand ami Bernard Arnault, quatrième fortune mondiale et propriétaire de deux organes de presse, Les Echos, panthéon de la presse économique française et Le Parisien, jadis libéré mais devenu bien servile depuis ce rachat.
Des milliers de gens sont descendus dans la rue, acclamés par les passants, portant ce symbole de ce gilet que l’on enfile pour signaler un danger; non pas celui de mourir de faim comme au Venezuela où vous soutenez ceux qui descendent à leur tour dans la rue pour renverser leur Président et ce que d’aucuns arguent pour dénoncer le combat de ces honnêtes hommes et femmes qui demandent juste à pouvoir vivre de leur travail actuel ou passé, et de vivre de leur salaire, de leur retraite décemment. Car l’on a vu dans votre France depuis deux mois une femme pleurer à une pompe d’essence car prise en flagrant délit de siphonnage par la police pour pouvoir conduire le lendemain ses enfants à l’école; l’on a vu des retraités, silhouettes fragiles sur des rond-points, battant le froid, tant leur retraite est maigre, les mêmes ajoutant souvent qu’ils étaient là, non pas pour eux mais pour leurs petits enfants; l’on a vu des hommes et des femmes à terre, roués de coups ou pire, mutilé par des forces de l’ordre épuisées, prises à partie alors que dans leur coeur, ils sont du côté de l’oppressé; l’on a vu des journalistes se faire agresser par des citoyens las de ce mensonge orchestré par certains médias; l’on a vu des fonctionnaires, des employés apeurés par les caméras de peur que leur supérieur, que leur logeur ne les renvoient malgré ce droit fondamental de pouvoir pacifiquement manifester, inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.
1789, voilà une belle date. La prise de la Bastille, la France qui se libère de ses chaînes, le monde entier qui l’admire pour son courage à se révolter. L’abolition des privilèges est restée un vœu pieux. Le peuple a souvent raison mais il est gauche et se divise aussi vite qu’il se fédère. Sur cette même place, ce onzième samedi de contestation populaire, les forces de l’ordre ont chargé, loin de s’attaquer aux casseurs pourtant identifiés à quelques mètres de là, transformant cette place symbole de la Révolution française en un immense champ de fumée et accessoirement de sang avec celui d’un homme, figure parfaite dans sa modération pour offrir un martyr à ce mouvement réprimé samedi après samedi dans les violences policières et le silence complice des médias. Un père, un frère, un enfant comme l’a rappelé sa soeur, avec la dignité propre à ceux que les méprisants nomment la France d’en bas.
Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis.
Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne le faisais pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.
Et c’est à vous, Monsieur le Président, que je la crierai cette vérité, de toute les forces de ma révolte d’honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerais-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays?
Par Laetitia Monsacré
Et en italique, Emile Zola dont je n’ai pas sollicité l’ accord mais, comme Wolinski, je pense qu’il aurait apprécié…